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18 mai 2024

Guillaume Bigot explique « La trahison des chefs »

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Les chefs sont-ils une espèce en voie de disparition ? C’est ce que tente d’expliquer Guillaume Bigot dans son dernier ouvrage récemment sorti aux éditions Fayard. Diplômé de l’IEP de Paris, économiste et Doctorant en sciences politiques, ce journaliste devenu l’un des dirigeants du Pôle Universitaire Léonard de Vinci et aujourd’hui directeur général de l’Ipag explique avec brio comment on a pu passer, au fil du temps, du bon commandement au mauvais management. Entrevue exclusive pour Nice Premium.


trahison_des_chefs.jpg Un ouvrage acide à souhait qui explique comment on est donc passé du commandement au management entrainant, de fait, une lente disparition des véritables leaders. A grand coups de nouvelles règles manageriales, la société humaine comme les sociétés marchandes se sont habituées à diviser pour mieux (mal ?) gérer au lieu de fédérer pour amener ses troupes à se surpasser.

C’est ce que « La trahison des chefs » essaie d’analyser en se basant sur des exemples précis et des faits malheureusement bien réels.

Guillaume Bigot s’est confié à Nice Premium afin d’expliquer comment la société se doit de revenir à l’essentiel s’il ne veut pas finir droit dans le mur.

Nice Premium : Guillaume Bigot, vous venez de sortir votre nouvel ouvrage « La trahison des chefs ». Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ?

guillaume_bigot.jpg Guillaume Bigot : La découverte, sur le tard, au contact de vieux chefs tels que Jean-Claude Barreau qui fut le collaborateur de François Mitterrand ou tels que Jean-Pierre Chevènement ou encore Charles Pasqua, qu’il pouvait y avoir de “bons” chefs. J’appartiens à une génération qui ne croit pas au chef.

NP : Selon vous, comment est-on passé du commandement au management et quelles ont été les conséquences de cette mutation ?

GB : Entre 1980 et 1990, cinq facteurs se sont conjugués : Le come-back du libéralisme économique et politique qui a débuté avec l’ère Reagan-Thatcher en 1980, le triomphe de la mentalité “soixante huit” avec son culte du bon plaisir individuel, la prise de conscience, avec un effet retard, de l’ampleur des crimes du communisme et du nazisme, l’hégémonie américaine après la chute du mur et, enfin, la libéralisation commerciale et surtout financière qui a transformé la gouvernance des entreprises.

Au total, la figure du chef s’est en trouvée profondément délégitimée (Intérêt général = communisme et chef = fasciste) et le droit à jouir et à faire du profit sans entrave est proclamé. Désormais, le chef, c’est un mélange d’animateur de supermarché totalement démago mais profondément cynique qui roule pour lui et dont on n’attend plus rien…de bon !.

NP : Quel serait alors le juste milieu entre libéralisme et totalitarisme ?

GB : La démocratie ! Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple et non le pouvoir des marchés pour les rentiers et les actionnaires.

Votre question est emblématique du point de vue général qui croit qu’entre le marché total et l’État total, il n’y a aucun juste milieu. Pourtant, décrété, comme on l’a fait depuis trente ans, qu’il n’y a rien qui puisse entraver le droit à faire du profit des grandes entreprises (soit l’idéal du libéralisme), c’est faire advenir une forme originale de totalitarisme. Songez, par exemple, au commerce du corps et des organes !

NP : Plus on apprend à diriger, moins on sait diriger. Doit-on alors apprendre à nouveau à commander ?

GB : Oui ! Avec ce paradoxe que le seul apprentissage formateur au commandement passe par la pratique, par la mise en situation réelle. C’est en forgeant que l’on devient forgeron, c’est en commandant que l’on apprend à commander. Le commandement, c’est un art tout d’exécution disait Bonaparte.

Ensuite, il est certes infiniment préférable d’être très cultivé ou d’être techniquement compétent ou bien formé (à un métier ou à des outils) pour bien commander mais, plus le faux savoir du management se répand, plus la culture véritable est scientifique ou littéraire et les techniques sérieuses reculent.

NP : Doit-on préférer alors un savoir-faire à la française plutôt qu’un management à l’américaine ?

GB : Il est certain que les Américains gardent quelque chose de la rigueur germanique (dans le culte des procédures par exemple) et que ce côté très carré ou très explicite peut avoir du bon dans le monde du travail ou de l’entreprise.

Inversement, le sens de l’approximation à la française peut être facilement exaspérant. Mais, je crois que l’erreur réside dans la volonté de sortir des techniques de leur contextes culturels : les Kpis et les évaluations quantitatives, par exemple, conviennent parfaitement aux salariés américains mais font des ravages lorsqu’elles sont appliquées sans discernement par des patrons français. Disons qu’il est souvent contreproductif de copier les recettes américaines. D’ailleurs, je rappelle qu’un salarié français est plus productif en moyenne qu’un salarié américain.

NP : En quelques mots, diriger pour vous, c’est… ?

GB : Servir une cause qui vous dépasse !

NP : L’autorité n’est-elle pas alors la seule issue pour sortir de cette crise manageriale ?

GB : L’autorité oui mais pas l’autoritarisme. Ce livre tente de témoigner aussi de la facilité avec laquelle les gens sont prêts à obéir et à servir à partir du moment ou leur chef est lui-même au service d’un intérêt général. Je sais que cette position sera perçu comme naïve. Mais ce qui est profondément naïf, c’est de croire une seule seconde que les gens iront se faire trouer la peau pour défendre des fonds de pension ou se donneront à fond pour l’actionnaire

NP : Ne pensez-vous pas qu’un bon chef ne vaut que par la qualité de ses subordonnés ?

GB : J’en suis absolument certain ! Dis moi quels sont tes collaborateurs, je te dirais quel genre de chefs tu es. Savoir s’entourer est l’une des compétences cardinales du chef. J’oppose à cet égard, nos chefs d’entreprise comme les politiques actuels qui veulent s’entourer de bénis oui oui qui ne leur feront pas d’ombre.

Des grands chefs du passé, à l’image de Louis XIV, avait compris que la gloire ne consiste jamais à grimper sur les épaules d’une pyramide de médiocres. Il s’était d’ailleurs entouré de génies : Colbert, Vauban, Lulli ou Molière. Il ne redoutait pas de faire travailler des gens plus doués que lui !

NP : Enfin, comment aimeriez-vous être dirigé et quel dirigeant pensez-vous être ?

GB : Comme tout le monde, par des êtres d’exception mais qui sauraient à la manière du général de Gaulle, résister à l’hubris des Grecs et à la tentation de la démesure. Pour la dernière question, c’est à mes collaborateurs de répondre, pas à moi !

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