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11 mai 2024

Au commencement était la voix

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300.jpg La scène est mythique. Pour rallier le Ministre de l’intérieur Fouché à la cause de Louis XVIII, bloqué à St Ouen, Talleyrand organise un somptueux « souper » à la fin duquel il sert à son hôte un cognac hors d’âge. Le rustre Duc d’Otrante se saisit du verre et avale son contenu d’un trait. L’évêque d’Autun lui fait alors la leçon : un alcool aussi rare, explique-t-il à son hôte illustre, on le regarde, on le hume, on pose le verre et « on en parle ». Ite missa est.

La voix serait-elle un substitut à la jouissance orale ? Depuis la plus haute antiquité, les mères n’ignorent plus, selon Marie France Castarède et Gabrielle Konopczynski qu’au « commencement était la voix ». Les foetus reconnaissent, dès le 4ème mois, la prosodie maternelle, c’est à dire le rythme, la mélodie et l’intensité de paroles qui lui parviennent à la fois de l’extérieur et de l’intérieur du corps de la mère. Il faudra pourtant une dizaine de mois au bébé pour prononcer ses premiers mots. En ce sens, le langage semble s’approprier – enfermer ? – des sons plus librement échangés dès l’origine de la vie. Le cri de la naissance mêlerait à cet égard le son et la voix en consacrant la transition d’un état à un autre, un grand « saut » en quelque sorte. L’acquisition du langage pourrait ainsi marquer la fin de la période d’allaitement et l’engagement du processus de séparation d’avec la mère. Double frustration dont la nature et l’intensité justifieraient les efforts consentis par le nouveau-né pour s’exprimer désormais à travers le « dire ».

L’oreille, selon le poète, ne possède pas de paupières. Contrairement au regard, peut-être plus proche de l’odorat, la voix, nous confirment les deux auteurs, atteint l’autre « sans passage par le langage et le représentable ». Elle est tout autant identité et identification qu’émotion et sens. Rien d’étonnant à ce que les chapitres de l’ouvrage oscillent entre le domaine de l’intersubjectivité et celui de l’art comme pour rappeler les balancements réguliers entre repères structuraux qui interviennent au cours d’une psychanalyse.

Théâtre, poésie, chant et opéra, mais aussi les métiers de l’enseignement sont des thèmes abordés par les auteurs comme autant de correspondants possibles aux infinies tessitures d’une voix. Du « mamanais », ce dialecte de toutes les mères du monde lorsqu’elles parlent à leurs bébés avec un ton plus haut et une intonation exagérée (in « Dans mon berceau il y a des cactus » également paru aux éditions Eres), à la passion d’un public pour le registre vocal d’un artiste lyrique, en passant par le symptôme de l’aphonie dont sont victimes 75% des enseignants, la voix peut jouer de « différentes cordes » à son arc : elle émeut ou socialise, elle sait aussi blesser ou détruire. Etrange paradoxe que celui de l’être humain : il sait parfois triompher du déchaînement des éléments et vaincre les catastrophes naturelles mais il rend les armes et s’effondre en l’absence d’une voix de la personne aimée.

Voix et jouissance se rejoignent donc. Et puisque cette chronique s’adresse, entre autres, à des lecteurs niçois, saluons l’ouverture d’un « restaurant lyrique », le « Voci » (48, Bd Victor Hugo) qui cherche à fusionner les deux : au cours d’un repas fin, de jeunes et talentueux professionnels interprètent des airs d’opéra et de bel canto. Gageons que la pulsion orale y trouvera pleinement son compte : des voix charment, des palais savourent et des langues… commentent.

Marie France Castarède, Gabrielle Konopczynski, « Au commencement était la voix », Editions Eres, Coll. « La vie de l’enfant », 247 p., 23 Euros.

Jean-Luc Vannier

Psychanalyste

Jlvannier@free.fr 06 16 52 55 20

Auteur/autrice

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