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10 mai 2024

L’Iran et l’avenir du régime d’Ahmadinejad, au cœur du nouveau magazine « Moyen-Orient ».

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jpg_alms1ok.jpg« Almas ro faghat be almas tarash midan ». Seul le diamant peut tailler le diamant ! A lui seul, l’enkystement du régime des mollahs en Iran -le fils de Khamenei est également son chef de cabinet et un frère du président Ahmadinajed occupe un rang important parmi les bassidjis- permet de saisir la portée de ce proverbe typiquement persan. Un adage dont les manifestants des rues de Téhéran et des principales villes de province ont fait désormais leur leitmotiv : en clair, utiliser le mouvement d’opposition naissant à l’intérieur même du cercle des cléricaux chiites. Seul moyen, selon eux, d’affaiblir les pouvoirs du Guide, de faire avancer leurs revendications et d’obtenir une amélioration -même relative- des libertés individuelles.

Certains des étudiants se sont évidemment interrogés sur la valeur d’un engagement aux côtés de l’ancien président Hachemi Rafsandjani lors de sa prière du vendredi 17 juillet: fallait-il ou non manifester alors que le personnage est lui-même, à l’image de tous les ex-candidats à la présidentielle, issu d’un sérail largement honni? Peu importe finalement.

jpg_almas2ok.jpgComme un programme en palimpseste, ces jeunes estiment qu’un jour prochain viendra où, débarrassés d’une manière ou d’une autre des plus conservateurs qui gravitent dans l’entourage du Guide, ils pourront également jeter aux orties « le reliquat des enturbannés » ainsi que l’explique l’un des meneurs de l’après 12 juin, qui vient de recevoir sa « condamnation à plusieurs mois de prison ferme » par un tribunal de province. Audace des uns, calcul des autres. Car ces jeunes ne peuvent ignorer le risque de leur instrumentalisation par les réformateurs qui, de Mohammad Khatami à Mehdi Karroubi, « contestent le scrutin » et « condamnent la répression ». Ces derniers ne se priveront pas de les exploiter pour reconquérir le pouvoir. Sans forcément modifier quoi que ce soit au « Velayat-e faqih » une fois leur objectif atteint. L’inconnue demeure : y aura-t-il un Gorbatchev ou seulement un Khrouchtchev pour une « dékhameneisation » de l’Iran ?

La question « Quel avenir pour le régime d’Ahmadinejad ? » se trouve donc posée. Elle justifie l’important dossier que lui consacre « Moyen-Orient », nouvelle publication signée Aréion, un groupe aux titres déjà spécialisés dans le domaine de la géopolitique et de la stratégie. Dans son éditorial, Frank Tétart, Professeur de géopolitique à l’Université de Paris I et à Sciences-Po, insiste sur la nécessité de « favoriser l’intercompréhension entre Orient et Occident, en proposant des clefs de lecture de cette région si complexe et objet de multiples représentations ». Une ambition presque aussi vaste que la zone couverte par le magazine qui s’étend de la Mauritanie au Pakistan, à l’instar du « Grand Moyen-Orient américain ».

jpg_almas4ok.jpgPour dresser l’inventaire des trente années de république islamique, « Moyen-Orient » ouvre ses colonnes à d’importantes figures intellectuelles : Olivier Roy, directeur de recherche à l’EHESS, offre, à travers une interview exclusive, son « regard » sur la place de l’Iran et les relations de ce pays avec les autres Etats arabes de la région. Le dossier se nourrit ensuite des réflexions de son collègue au CNRS Bernard Hourcade sur l’avenir d’un régime iranien toujours ambivalent dès que surgit l’option de son ouverture internationale. Il se conclut sur un entretien avec Fariba Adelkha, membre du Ceri, sur la participation féminine aux dernières élections présidentielles et sur l’influence croissante des femmes dans la société professionnelle iranienne. Autant de passionnantes contributions didactiquement enrichies de tableaux et de cartes, à même d’éclairer les exigences du spécialiste ou d’initier le lecteur profane aux arcanes du pouvoir politico-religieux. On regrettera éventuellement la dominante « Science Po » des textes au détriment d’une évocation, parfois plus parlante, d’une actualité de terrain. On relèvera, par surcroît, les articles intéressants sur le thème de la « finance islamique » dont aucun d’entre eux ne lève toutefois le voile, si l’on ose dire, sur les liens éventuels avec des mouvements ou filières terroristes.

jpg_almas6ok.jpgOn s’interrogera aussi sur la conviction -un peu solitaire au regard du dernier rapport de l’AIEA- de l’ancien Ambassadeur de France en Iran, François Nicoullaud pour lequel « la vocation du programme d’enrichissement iranien n’est à ce jour pas affirmée ». On mentionnera aussi l’omission de la triste stratégie déclaratoire du président Ahmadinejad à l’encontre d’Israël laquelle jette une lumière nettement plus douteuse sur les « intérêts nucléaires » de l’Iran jugés pourtant « classiques » par Olivier Roy. Si ce dernier insiste avec raison sur le renversement du rapport de forces régional, au profit des seconds, entre sunnites et chiites, son propos mériterait peut-être plus de prudence s’il prenait en compte la traditionnelle rivalité entre Perses et Arabes : les dignitaires religieux chiites de Nadjaf ou ceux de la côte orientale saoudienne -voire koweitienne- affichent toujours une relative méfiance à l’encontre de leurs collègues iraniens comme le montrent les interminables querelles sur la désignation du « Marja-e taqlid », la source d’inspiration religieuse qui s’impose à l’ensemble des chiites dans le monde. L’une des figures du clergé iranien -Hassan Khomeiny, le petit fils du fondateur la révolution- n’a-t-il pas récemment menacé, insulte suprême, de partir pour la ville sainte iraquienne si on le forçait à féliciter Mahmoud Ahmadinejad pour sa réélection ? Quant à la chercheuse et spécialiste de l’Iran Fariba Adelkha, elle annonce avec quelques longueurs d’avance le sentiment récemment exprimé par Hillary Clinton sur le fait « qu’aucune décision majeure de politique étrangère ne sera prise par le pouvoir iranien au lendemain de ces élections ». Elle surprend davantage lorsqu’elle affirme : « de son point de vue, ces élections sont un quasi non événement ». Au moment de son interview, Olivier Roy ne relève pas, lui non plus, « un activisme politique de la population contre le régime ».

jpg_almas3ok.jpgForce est pourtant de constater que la participation de milliers d’étudiants au mouvement de contestation ne faiblit pas: même s’ils ne descendent pas tous les jours dans la rue, ils entendent désormais « exploiter n’importe quel événement du calendrier pour manifester leur hostilité au régime » : peu avant le 10ème anniversaire des émeutes universitaires de Téhéran de 1999, les mots d’ordre estudiantins mobilisaient spontanément la jeunesse iranienne de Mashad à Chiraz, de Tabriz à Kerman. Ce fut également le cas pour la prière du vendredi 17 juillet prononcée par Rafsandjani ou pour la célébration du quarantième jour dédié aux morts des premiers soulèvements. Autant d’illustrations du systématisme dans la stratégie adoptée par les manifestants. A peine remis des échauffourées au cimetière de Behesht Zahra, où il a été empêché, le jeudi 30 juillet, de se recueillir sur la tombe de la jeune Neda, Mir Hossein Moussavi avait déjà fait savoir à ses supporters les prochaines échéances : la cérémonie d’intronisation du président Ahmadinejad au Parlement devant lequel ses partisans se sont massivement rassemblés. Puis, le lendemain, la nuit du « Nime Shaban » qui commémore la naissance de l’Imam Mahdi, l’Iman caché qui fonde l’imamisme duodécimain. Tout un symbole. Les graves injustices subies par la jeunesse iranienne -arrestations, détentions arbitraires, passage à tabac et menaces d’inscription sur les fichiers des bassidjis au risque de se voir persécutés au quotidien et interdits de voyager à l’étranger- ont eu, par surcroît, un effet pervers pour le régime : celui de progressivement impliquer d’autres membres des familles, parfois plus favorables au président sortant. Sans parler des officiers de l’armée régulière dont les témoignages de mécontentement -et une soif probable de revanche sur les gardes prétoriennes instituées par la république islamique- se multiplient.

A moins d’un virage strictement répressif des autorités iraniennes, peu probable en raison de la configuration collective du régime, et malgré les intérêts économiques qui lient la caste des dignitaires religieux, il ne fait guère de doute que le mouvement de protestation va se poursuivre tout en s’appuyant sur les dissensions intérieures du pouvoir: « Nous avons vaincu notre peur initiale », me confiait récemment un iranien d’une vingtaine d’année qui disait « ne plus craindre les conversations téléphoniques engagées » comme au tout début des manifestations. Des toits des maisons où ils crient « Allah u akbar » ou des voitures qui klaxonnent bruyamment sur l’avenue Vali Asr, la jeunesse iranienne affiche, malgré les menaces de l’appareil sécuritaire, une détermination à toute épreuve.

jpg_iran-MOok2.jpg« Moyen-Orient », géopolitique, géoéconomie, géostratégie et sociétés du monde arabo-musulman, numéro 1, Août – Septembre 2009, 10,95 Euros.
https://www.areion.fr/

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