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3 mai 2024

L’Edito du Psy – Peut-on tout dire ? Funeste destin du verbe politique

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jpg_bobine2008-83.jpgIl me faut, une fois encore, rendre hommage à mes étudiants de l’IUT de Nice Sophia-Antipolis. Ce sont eux qui m’ont fourni l’idée de cet Edito de la semaine. Sans eux, trop occupé par les cours et les consultations, il ne me serait pas venu à l’esprit d’évoquer cette question qui fraye, de loin, avec la philosophie et la politique. Une question pourtant au cœur d’un exposé dans leur matière « Communication et psycho-sociologie » et sur laquelle ils ont souhaité m’interroger : « Peut-on tout dire ? ».

Comment ne pas librement associer sur ce thème, le cabinet de l’analyste où l’une des règles fondamentales consiste à inviter l’analysant à dire tout ce qui lui passe par la tête, sans aucune restriction ? Certes, le patient, pour citer Jacques Lacan, « dit toujours la vérité mais pas toute la vérité » : c’est son « mi-dire » qui rend nécessaire la troisième oreille du psychanalyste. Le rituel chrétien du confessionnal et les clubs philanthropiques exclusivement réservés à leurs membres peuvent également illustrer ces lieux de paroles, en apparence « libérées ». Un cruel réalisme, pourtant, s’impose : dans la confession, le croyant sélectionne ses péchés en fonction de sa grille de lecture des canons interdicteurs de l’église. Quant au troisième exemple, les enjeux personnels de pouvoir en déforment souvent la louable finalité humaniste. Trois exemples finalement d’un espace fermé, d’un huis clos où règne le secret le plus absolu.

Faut-il, a contrario, considérer la sphère publique comme un terrain dangereusement miné pour la libre expression, se sont demandés les étudiants ? Les écrivains pamphlétaires ou les librettistes d’opéra, ont toujours su habilement affronter la censure étatique : les premiers en la contournant par d’ingénieuses métaphores, de subtiles allégories, les seconds en transférant sur les notes de musique, les cadences et les tonalités, leurs indicibles pensées. Sublime magie du verbe où Voltaire peut vanter les grandioses funérailles de Newton pour mieux railler l’indécent enterrement de Descartes à la sauvette, dans le cimetière des enfants morts sans baptême de Stockholm. Et Mozart échafauder avec Da Ponte un « Nozze di Figaro » qui brave l’interdiction édictée par l’empereur Joseph II de copier la pièce de Beaumarchais qui aspire à célébrer, humainement et politiquement, l’égalité entre hommes et femmes !

Cette liberté d’expression, poursuivaient ces chères têtes blondes, était-elle désormais menacée ? Le respect de la forme pouvait-il contraindre, limiter l’expression au fond ? Les braves petits ! Non dénuées d’une certaine actualité -des démissions du JDD aux sulfureuses chroniques de Stéphane Guillon en passant par les propos dérangeants d’Eric Zemour- leurs questions visaient probablement les nouvelles formes de la censure, celles aux définitions aussi extensives que floues fondées sur la bienséance et les impératifs de paix sociale.

Coincé dans son expression entre l’interdit et l’autocensure, le verbe politique s’est réduit à la formule magique sans, si l’on ose dire, les effets magiques de la formule. Conséquence de son impossibilité -ou de son refus- d’agir sur le réel, il est devenu ce que Manuel Valls, le Député-Maire d’Evry dénonce dans son propre camp : un discours de pure « incantation », à l’image de la creuse improvisation de Martine Aubry le soir des élections régionales alors que la presse étrangère, de « Die Welt » à « The Guardian », voit également dans la défaite de l’UMP, la « fin des effets magiques » du verbe sarkozien.

A force de privilégier le modèle normatif et au nom d’idéaux qu’il cherche d’autant plus à immobiliser que ces derniers fuient cet enfermement, le vocabulaire du décideur politique s’est mué, pour prolonger le concept de « malthusianisme verbal » énoncé par Roland Barthes sur le français, en un « idiome sacré » aux prétentions universelles et désincarnées. A force d’être confiné dans sa « pointe nécessaire et suffisante », le discours politique ressemble au français académique du XVIIIème siècle, éloigné de sa base, séparé de son « étendue sociale ». A force de se couper des réalités, la langue politique est devenue, elle aussi, fictive.

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