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28 avril 2024

Hamra : après le désert mahométan, le retour à la fournaise augustinienne

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liban.jpg Du Liban d’avant la guerre de 1975, les étrangers retiennent volontiers le nom de la rue Hamra. Les lumières de cette ancienne « Champs-Elysées » du Liban, « Suisse du Levant » pour Lamartine, attiraient une foule bigarrée par sa vie tumultueuse et nocturne: hommes d’affaires européens et responsables politiques arabes venaient tout simplement s’y encanailler le week end. Passé des Chrétiens aux Musulmans au cours de la guerre, ce quartier cosmopolite changea totalement de physionomie. Les cafés et multiples cabarets cédèrent la place aux magasins de vêtements et de chaussures. Le célèbre café Modca, haut lieu de rencontre des Français du Liban, devint même un magasin d’habillement. Avec plus de tabourets vides que de filles, quelques bars isolés près des grands hôtels trahissaient les habitudes indélébiles de ce quartier historique, silencieux comme la mort dès la tombée de la nuit.

Depuis deux ans environ, Hamra renaît de ses cendres. Sans rapport apparent avec les bouleversements politiques qui ont vu les Sunnites sceller une alliance avec les Chrétiens apres l’assassinat de Rafic Hariri, ni même avec la chute des activités du centre-ville occupé par le Hezbollah. Cafés, bars et même un club de Tango situé à côté de l’hôtel Marble Tower, signalent une renaissance de ce quartier. Notons que tous ces nouveaux espaces ne sont pas implantés sur Hamra mais dans les ruelles adjacentes ou au fond d’une cour, presque en catimini, comme à l’abri des indiscrets.

liban-2.jpg Le lounge bar « De Prague », en référence à l’une des capitales européennes préférées du propriétaire, en constitue certainement l’un des symboles les plus marquants. Depuis deux ans et demi, cet endroit phare de la vie culturelle et artistique libanaise voit se cotoyer de dix à deux heures du matin, financiers des établissements bancaires tout proches, journalistes assurés de la tranquilité indispensable aux entretiens politiques et, le soir, intellectuels ou étudiants de l’American University of Beirut (AUB), située à deux pas de là. Pour l’un des managers, Khaled, jeune chrétien de 27 ans vivant depuis dix ans sur place, le concept épouse un besoin exprimé par la population d’un « retour aux jours glorieux du vieil Hamra ». L’ouverture aux aurores profitera également aux amateurs du « sobhiyé », cette ancestrale coutume libanaise qui consiste à échanger tous les potins de la veille – et surtout ceux de la nuit – autour du premier café.

Authentique lieu de vie, de rencontres et de discussions, « De Prague » n‘hésite pas non plus à s’investir dans des projets artistiques extérieurs à son activité principale : il accorde un soutien financier au club d’art dramatique de l’AUB ou il met à disposition ses murs pour accueillir des expositions temporaires. Un objectif pas seulement intellectuel lorqu’il s’agit, comme dans le cas de « SPLACES », d’un rendez vous d’architectes expérimentaux chargés ensemble de réfléchir à la meilleure manière de développer les espaces encore libres ou à reconstruire dans cette zone géographique gravement endommagée par les conflits. On pourra s’étonner, alors que les dizaines de verres disposés sur les tables se remplissent et se vident allègrement, de pouvoir compter sur les doigts des deux mains le nombre de bouteilles rangées derrière le bar. « Produits incompatibles avec les livres et les tableaux qui ornent les murs », précise Khaled, ce qui n’empêche pas le « De Prague » de miser sur les ventes de boissons pour alimenter plus de 80 % de ses recettes. Mais l’alcool ne peut pas tout expliquer. Au plus fort de la guerre avec Israël en juillet 2006, « De Prague » n’a jamais désempli au point de devoir installer chaises et tables sur le trottoir afin de satisfaire une clientèle désireuse d’oublier les tensions.

liban-3.jpg Il suffit de faire quelques pas supplémentaires en descendant la rue pour trouver au fond d’une impasse insignifiante un autre lieu de rencontre tout aussi inhabituel. Encore faut-il deviner son existence derrière de larges vitres aux rideaux intérieurs tirés suggérant un endroit complètement abandonné. Franchir la porte vous place dans l’étrange situation qui ressemble à celle de déranger un diner familial auquel vous n’étiez pas forcément convié. Les conversations s’arrêtent, les regards se lèvent et vous éprouvez le sentiment de devenir la cible des toutes les interrogations. Car ici, au café « Baromètre », tout le monde connait tout le monde. Depuis 1997 ne s’y retrouvent en effet que des habitués : employés locaux ou collaborateurs étrangers d’ONG en charge d’apporter un secours aux réfugies, acteurs sociaux impliqués sur le terrain ou activistes de causes humanitaires, justes, voire désespérées. Tous témoignent de ce passé « plutôt à gauche » selon Ali Haidar, cousin du propriétaire dont le large sourire et le geste accueillant viennent rééquilibrer les yeux plus inquisitoriaux du barman. « Cette place a toujours été pro-palestinienne » , affirme ce diplômé de Sciences Politiques de l’Université libanaise, pour un temps collaborateur du « Arab Times » au Koweit. Si l’on en doutait, les portraits de l’ancien chef de l’OLP Yasser Arafat et les affiches invitant à « visiter la Palestine » confirment aisément ses propos.

Plus altermondialiste – parce que plus récent – que son ancêtre le « Rawda », café fréquenté essentiellement par la gauche libanaise des années 70 et situé à Raouché, juste à côté de la Grande roue, le « Baromètre », poursuit Ali, représente justement, d’où son nom, le moyen d’évaluer la situation politique, toujours entre des « hauts et des bas ». En fait, le fondateur, un chanteur lassé des incertitudes du lendemain, a souhaité se construire un endroit à lui et indépendent des aleas de la guerre. Lieu quelque peu alternatif, on y croise un soir un « artiste expérimental » aux yeux maquillés dans la pure tradition arabe du « Kehlé », d’un mélange de produits colorants noirs qui offre par contraste un regard d’une éclatante blancheur. A la table d’a côté, une discussion semble mettre aux prises un sympathisant du Hezbollah accroc au whisky coca et qui tente d’expliquer, apparemment en vain, à un jeune aux allures efféminées, la « contre nature » de son orientation sexuelle. Le plus destabilisé des deux ne fut pas celui qu’on croit. Bref, un endroit très convivial, aux ambiances de bistrot de quartier et un rien fumeurs d’une herbe qui ne serait pas seulement celle de Provence qu’on jette distraitement sur le barbecue.

liban-4.jpg A moins d’une vingtaine de mètres dans cette rue Makhoul décidemment pleine de surprise, se tient, selon son propriétaire, le « premier bar gay du Moyen-Orient ». Le « Wolf », un loup forcément solitaire dont la patte a même laissé son empreinte sur le logo du club, retrouve ses congénères sous un éclairage rappelant les nuits de pleine lune. Rien ne paraît laissé au hasard dans l’élaboration du concept et de sa mise en oeuvre. Une différenciation symbolique jusque dans la création d’un nouveau drapeau, un dégradé de vert, proposé comme nouvel étendard à la place du drapeau Arc en ciel de la communaute gay.

D’entrée de jeu, Tony, l’un des associés, affirme vouloir « se désolidariser des folles du Marais » et promouvoir un « concept gay masculin et urbain ». Dont acte. La sélection à l’entrée sera d’autant plus conciliante qu’on sera « musclé ou poilu ». Les « mademoiselles bonne chance » devront légèrement patienter à l’extérieur. Cet ancien banquier connait, si l’on ose dire, son affaire. Deux raisons ont présidé à son choix d’installer un bar gay dans cette partie de la ville : historiquement, il y avait déjà dans cette rue et jusqu’au premières heures de la guerre deux établissements pour homosexuels. Encore un retour aux sources. Tony entend aussi s’éloigner des bars « gay friendly » de la rue Monnot comme le « 717 » dont la gestion n’a pas permis aux gérants de dépasser les six mois d’existence. Créé en mars 2006, ce lieu de rencontre où la musique n’obère pas la possibilité des échanges – verbaux s’entend – a prospéré avec l’ouverture d’une succursale à Paris et serait prochainement susceptible d’essaimer à Madrid, Londres et Cologne. Du « Wolf » isolé de Hamra, c’est donc une meute qui se prépare à déferler sur l’Europe.

« De Prague » : Hamra, rue Makdessi, Tel :00 961 3 57 52 82

« Baromètre » : Hamra, rue Makhoul, Tel : 00 961 3 678 998

« Wolf » : Hamra, rue Makhoul, Tel : 00 961 1 750 856 ou 00 961 3 520 859

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