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4 mai 2024

Ponce Pilate : les « maladresses » historiques d’un Gouverneur romain.

ponce-pilate.jpg Biographie ou exégèse ? L’ouvrage consacré à Ponce Pilate par Jean-Pierre Lémonon ressemble davantage à une minutieuse fouille archéologique, celle où la petite cuillère et la brosse à dents se substituent aux instruments plus grossiers d’excavation. Qui ne connaît pourtant, au-delà du monde des Chrétiens, ce Gouverneur romain, administrateur du territoire de Judée au nom de l’Empereur et dont une certaine sentence rendue allait participer, presque malgré lui, d’un bouleversement de l’histoire ? C’est là tout l’intérêt du travail de ce Professeur émérite et spécialiste du Ier siècle que de replacer cet « instant » fondateur de la Chrétienté dans les vicissitudes ordinaires de l’espace et des temps impériaux, permettant ainsi d’éclairer plus sobrement la célèbre décision du « privilège pascal ».

L’ouvrage commence par une énigme : celle d’une inscription aussi mystérieuse qu’incomplète mentionnant le nom de Pilate sur une pierre découverte lors des fouilles du théâtre de Césarée. L’auteur transforme vite ce morceau de calcaire en clefs donnant accès à l’histoire de cette province peuplée de Juifs qui connût « à la mort d’Hérode le Grand, en 4 av. J.C., une période d’agitation ». Il plante le décor sur l’organisation territoriale de l’Empire et décrit les pouvoirs complexes du Gouverneur de Judée, coincé entre la puissance supérieure de son collègue en charge de la province de Syrie et celle, extrême, du César dont il est le représentant. Autant dire qu’il n’a pas la tâche aisée. Toujours pointilleux sur les sources, au point de rendre la lecture parfois ardue, Jean-Pierre Lémonon examine les différentes affaires gérées par Ponce Pilate.

La garde du vêtement du Grand Prêtre, dont « chacune des huit pièces expiait des péchés tout à fait précis », fut un des contentieux récurrents entre les notables religieux et le Gouverneur, censé s’adapter aux variations de la politique juive de Rome. Souci tout aussi constant, la question de la monnaie, à la fois symbole indiscutable de souveraineté pour le représentant de l’Empire lequel devait néanmoins tenir compte de l’interdiction judaïque de toute représentation personnelle sur les pièces. Interdiction plus ou moins respectée en fonction de considérations politiciennes et diplomatiques à l’égard de la communauté juive mais aussi du tempérament du Gouverneur. C’est peut-être là que l’exégète cède la place à l’historien : pour Jean-Pierre Lémonon, Pilate fut et reste un administrateur « maladroit ». Sa décision d’introduire à Jérusalem, « de nuit et voilées » des « effigies de César » provoque une émeute de Juifs tellement déterminés que ces derniers parviennent à le faire revenir sur cette mesure. Il fit ensuite construire, financé sur le trésor sacré du Temple, un aqueduc, suscitant une vive opposition qu’il fit réprimer par ses soldats dans un bain de sang.

Ces deux événements mettent en lumière, selon l’auteur, une personnalité peu au fait de la sensibilité juive. Sans que celle-ci corresponde nécessairement à une instruction explicite de l’Empereur Tibère dont la politique, en comparaison avec d’autres Césars, fut plutôt conciliante à l’égard des Juifs. L’auteur évoque d’ailleurs l’idée d’une complicité avec les milieux sacerdotaux au moment de la Passion du Christ et sans laquelle, selon lui, le procès n’aurait pu avoir lieu. Procès dont il nous livre de passionnants éclairages: des conditions historiques de la mise en œuvre du « privilège pascal » aux « influences » de l’environnement sur la décision de Pilate, le professeur commente également avec force références textuelles les événements autres que la Passion elle-même (libellé de l’écriteau de la croix, descente du corps de Jésus…).

C’est l’épisode du « massacre des Samaritains » qui aura raison du pouvoir de Ponce Pilate : sur pression des habitants qui s’adressent directement à Rome, le Gouverneur est rappelé. Signe d’une forme de désaveu, son successeur en Judée nomme rapidement un nouveau Grand Prêtre en remplacement de Caïphe, celui qui obtint la sentence contre Jésus. Etrangement, la précision de l’exégète bute sur les circonstances de la mort de Ponce Pilate : suicide ? condamnation à mort ? assassinat ? martyr d’un homme devenu chrétien à la fin de sa vie ? toutes les hypothèses sont mentionnées et renvoyées à d’abondantes bibliographies. Au lecteur de choisir et de « croire », en quelque sorte, à la bonne version.

Jean-Pierre Lémonon, « Ponce Pilate », Editions de l’Atelier, 2007, 304 p., 23 euros.

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