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3 mai 2024

Parsifal, à l’Opéra de Nice : comment ne pas applaudir ?

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Elena Zhidkova (Kundry)
Elena Zhidkova (Kundry)
Dans ses mémoires, la cantatrice Régine Crespin raconte qu’à l’époque où elle joua le rôle de Kundry à Bayreuth (1958-1961), on ne devait pas applaudir à l’issue du spectacle : Wagner lui-même ne souhaitait pas altérer l’intense religiosité de son oeuvre. La célèbre soprano dut patienter, explique-t-elle, jusqu’à l’année suivante pour recueillir dans son interprétation de Sieglinde en 1961 au Festspielhaus, tous les « applaudissements accumulés au cours des quatre années précédentes ». On attendait donc cette première de Parsifal à l’Opéra de Nice avec intérêt. Le changement de lieu -l’Acropolis à la place de l’Etablissement de la Rue Saint-François-de-Paule- annonçait l’envergure de la dimension scénique et orchestrale. La froideur de la salle Apollon convenait parfaitement aux exigences de pureté quasi liturgique contenues dans ce drame wagnérien : une divine rédemption acquise de haute lutte humaine parmi les chevaliers en quête du Graal.

Car Parsifal se situe à part dans le répertoire du maître de Leipzig : non seulement par le fait qu’il s’agit du dernier opéra composé par Richard Wagner lequel devait mourir un an plus tard. Mais cette pièce se distingue surtout par son absolue intériorité : point de fulgurantes actions en cascades qui mêleraient les dieux aux hommes, point d’exacerbation hypertrophiée des passions amoureuses jusqu’à leur aboutissement mortifère. Finalement, point de dramaturgie projective où le spectateur se trouve happé, pris à la gorge par le déchaînement de la puissance orchestrale. Non.

Gary Lehman (Parsifal) et Elena Zhidkova (Kundry)
Gary Lehman (Parsifal) et Elena Zhidkova (Kundry)
En ce sens, cette co-production de l’Opéra de Nice avec le Grand Théâtre de Genève et l’Opéra de Leipzig respecte la règle fondamentale de cette oeuvre: c’est la salle émue qui désire entrer sur scène pour se joindre à cette forme d’eucharistie musicale. Malgré certains reproches entendus ici ou là -un tempo un peu rapide ou trop d’immobilisme c’est selon !-, le chef Philippe Auguin -on reparlera sans aucun doute dans un avenir très proche de ce maestro qui fait enfin l’unanimité enthousiaste à la Philharmonie de Nice- a su lire et jouer cette partition dans une atmosphère linéaire, légèrement progressive dans le recueillement pour accompagner, sans maniérisme ni lassitude, cet inexorable cheminement vers la transcendance. Une musique à l’image de ce voile transparent qui sépare la scène de la salle sans causer aucun désagrément: rappel de la nécessaire distance, destinée à marquer le clivage entre profane et le sacré.

La distribution harmonieuse des voix ne constitue pas le moindre des atouts dans la réussite de cette performance : l’américain Gary Lehman, dont la voix intense et l’incroyable tessiture de baryton lui autorisent une interprétation aisée des rôles wagnériens de ténor, sait habilement user de ce registre élargi pour illustrer cette mutation saisissante du personnage de Parsifal entre le premier et le troisième acte. La mezzo-soprano russe Elena Zhidkova accompagne elle aussi superbement cette transformation toute intérieure, passant vocalement des accents ténébreux à la clarté rédemptrice, tout en sachant conserver des intonations plus telluriques qui conviennent bien à l’ambivalence affective, humaine, de Kundry. La basse finlandaise Jukka Rasilainen campe un magnifique Amfortas à la voix sombre, puissante, dotée de graves stables et émouvants. On félicitera Kurt Rydl dans le rôle de Gurnemanz pour ses efforts à lutter efficacement contre les méfaits à peine repérables de sa sinusite.

jpg_IMG_9720ok.jpgOn restera néanmoins très critique sur la mise en scène et les décors. Roland Aeschlimann n’est certes pas un novice mais Dagmar Pischel commet la grossière erreur de chercher à imposer et non à suggérer, à proposer au public de se laisser envahir par la symbolique christique : le premier acte rate ainsi l’éblouissement mystique supposé de la réunion des chevaliers lesquels se penchent comiquement d’un côté ou d’un autre pendant la cérémonie. Que dire aussi des déroutants décors ? Une réplique de la « porte du temps » dans Stargate -il paraît que c’est la cavité d’un objectif photographique- pour métaphoriser le cheminement intérieur, un Graal réduit à une image du Christ projetée dans un jeu techniquement instable et qui ôte à ce « Höhepunkt » toute sa mystérieuse solennité, une scène finale qui rejoue la Pietà de manière factice: ce Parsifal niçois pouvait aisément convaincre sans l’abus de ces douteux artifices.

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