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28 avril 2024

Pablo Reinoso, artiste de l’espace et de la tension

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L’artiste franco-argentin, Pablo Reinoso, expose une dizaine d’œuvres au centre Polygone Riviera jusqu’au 14 octobre. La « Supernature » interpelle le visiteur en même temps qu’elle investit un lieu de vie, de passage et de communication. Double Talk, La Chose, Vice Versa.. et bien d’autres, retravaillent les codes sociaux et font valser l’ordre établi. Rencontre avec celui qui révèle « le potentiel de danse dans l’immobile statuaire » comme le disait notre regretté Michel Serres.


Il est né en 1955 à Buenos Aires, et découvre l’art dès son plus jeune âge. À 6 ans, il fabrique des chaises et dévale des pentes avec ses chariots. À 13 ans, va naître sa première sculpture, signe d’une vocation à venir et qu’il n’abandonnera jamais. Pablo Reinoso vit en France après avoir quitté l’Argentine en 1978. S’ensuit une longue carrière et de nombreuses séries d’œuvres, exposées à Paris, à Lyon, à Londres et même au Japon. Fasciné par la matière comme le bois ou l’acier, il étire le rigide et adoucit la brutalité matérielle. Il crée des bancs spaghettis, des chaises où nul ne peut s’asseoir et des cadres à la ramasse. Les lignes se déploient dans des formes topologiques et évoquent des notions philosophiques, telle que la liberté, et organiques telles que le corps ou la croissance végétale. Sa série « Les respirantes » est une « parenthèse qui dure », abandonnant la dureté pour la légèreté de l’air et sa pénétration dans les voiles.

Du 19 juin au 14 octobre 2019, Pablo Reinoso place une série de sept sculptures temporaires, venant compléter les deux œuvres permanentes, au centre Polygone Riviera de Cagnes-sur-Mer. Dans cet espace de vie où se mêlent les commerces et la restauration, l’exposition « Supernature » vient se nicher aux recoins et au centre des allées. Au sommet de l’escalator, La Chose est son mystérieux équilibre vous attend. Son allure d’araignée, d’excroissance hors du sol, intrigue par ses longs filaments d’acier. Posé à la surface de l’eau, Double Talk est un banc qui se déplie de chaque côté, prêt à fuir sa condition d’objet. À la manière d’un Gaston Bachelard, le sculpteur explore la psychologie d’une imagination dynamique, en dehors des catégories. Les objets vivent, comme les images.
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Au détour d’un repas organisé en présence de l’artiste, nous avons pu échanger sur son parcours, ses inspirations et sa vie :

  • Vous êtes natif de Buenos Aires, quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec votre pays natal ?

J’y retourne souvent, mais je dois dire que ça fait 40 ans que j’ai quitté l’Argentine. Même si j’y vais 3 ou 4 fois par an, petit à petit il y a une distance culturelle qui est en train de s’installer et c’est une grande surprise pour moi. Je ne ressentais pas ça il y a 20 ans. Je suis tellement impliqué dans ma vie française et européenne que je perds un peu le fil. Je garde quand même mon accent français.

  • Les objets où l’homme s’assoit, se pose ou se repose, reviennent souvent dans votre travail. La chaise, le banc.. Qu’est-ce qui vous attire chez eux ?

En design et en architecture, l’objet chaise est une espèce d’objet fétiche. Il y a une énorme attirance. Fabriquer son assise est ce qui nous différencie de tout le monde animal. On passe une grande partie de notre temps assis ou couché. C’est aussi un objet qui révèle beaucoup de la technicité et la technologie de l’époque. Il parle de la civilisation qui l’utilise. Dans la culture africaine par exemple, on a des chaises individuelles, qui ne se prêtent pas et avec lesquelles on voyage. Il y a une chaise toujours représentée couchée, c’est celle qui tient l’âme du peuple et personne ne peut s’y asseoir.
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  • On pourrait dire que vous attribuez parfois une fonction au matériau, mais que vous arrachez la fonction à l’objet ?

Il y a des objets fonctionnels où j’élide la fonction pour le libérer de ce poids-là et lui permettre de partir sur un dérivé poétique. Il y a une différence quand j’utilise de la matière pure, comme un bloc de marbre, et quand ce sont des matériaux avec une élaboration. Même un tronc d’arbre peut rentrer dans ce calque-là, il a été créé pour une fonction mais je ne la respecte pas et je lui en donne une autre. C’est-à-dire que je m’appuie sur ses capacités matérielles de pouvoir évoluer et j’essaye de créer une étanchéité entre les frontières. Ou plutôt une non-étanchéité. J’allais dire une porosité mais j’ai parlé d’étanchéité, ce lapsus est intéressant parce que c’est le contraire de ce que je voulais dire. L’étanchéité signifie qu’on ne passe pas, et moi je fais le contraire, j’estime qu’on peut toujours passer. On peut toujours se dépasser et aller plus loin. Ce n’est jamais sûr de rester là où on est.

  • Michel Serres, qui nous a quitté il y a quelques semaines, a écrit un texte « Géodésiques » à propos de vos œuvres. Il explique notamment que vous faites exploser les lignes de la surface du volume pour les donner mieux à voir. Vous le connaissiez bien ?

Oui, je l’ai bien connu, et j’ai beaucoup regretté son décès. Je l’aimais beaucoup, c’était un homme absolument incroyable. Quand il a écrit ce texte, nous avions discuté ensemble auparavant, et il est parti avec cette idée de géodésie libre. Ça m’a fasciné car je trouvais ça parfaitement bien décrit, et j’ai été ébloui en le lisant.

  • En quoi Polygone est-il le lieu idéal pour recevoir la dizaine d’œuvres qui y sont exposées ?

Je n’étais pas surpris de cette demande. J’ai déjà vu ça au Japon. En Asie, souvent, les centres commerciaux sont des lieux qui deviennent des musées. En tout cas, c’était comme ça il y a 30 ans. Tout simplement parce que c’est là que les gens vont, et qu’on peut y mettre des œuvres. Cette idée pour moi était claire, je n’ai aucun conflit avec la partie commerciale car c’est aussi une fonction. Je rentre bien dans l’idée de voir quelle fonction va prendre cet ensemble. Est-ce qu’il peut interpeller, mettre en abyme ou critiquer ?

Je ne fais pas une œuvre qui critique ouvertement, mais sous un aspect très ludique et bon enfant, elle montre quand même une brutalité de la croissance. Petit à petit, je commence à rentrer dans une sorte de militance. Vous voyez, si on met l’air et la croissance végétale ensemble, on est en plein dans le problème.
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Le vocabulaire de Pablo Reinoso

Tout artiste invente son langage, et donne une définition bien précise de sa démarche. Voici trois mots essentiels de Pablo Reinoso, expliqués par lui-même :

Objet
Un objet est une chose en trois dimensions dont on ne connaît pas encore les attributs. C’est seulement un objet. On pourrait dire qu’un objet et un objet non-identifié, c’est un peu la même chose tant qu’on ne met pas un adjectif derrière. Un objet pour s’asseoir, un objet d’amour, un objet de détente ou un objet inconnu.

Fonction
La fonction est un peu ce qui révèle l’objet. Du moment où l’on a compris la fonction de l’objet, il reprend une logique. Cette logique est parfois dominée par la fonction, parfois par l’esthétique ou la matérialité.

Matériau
Pour un sculpteur comme moi, le rapport au matériau et sa compréhension sont des données clés. C’est très bien d’isoler ces trois mots, car c’est de là que tout s’opère.

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