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26 avril 2024

Religions et Politique : comprendre les racines du christianisme et l’histoire du sionisme.

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monde_chretien.jpgOn peut espérer que le nouveau Président de la République inscrive au menu de ses réformes l’enseignement du « fait religieux » dans les écoles. Décision plus que nécessaire à la lumière des interférences quotidiennes, en France ou à l’étranger, entre le spirituel et le temporel, sans entrer par surcroît dans la querelle de savoir si l’Europe tellement élargie de demain possèdera encore ou non des racines chrétiennes.

Deux ouvrages récents offrent en la matière un indiscutable témoignage et proposent, ironie ou paradoxe, une approche inversée. « Quand notre monde est devenu chrétien » de Paul Veyne évoque à travers ce titre délibéré la rencontre presque inattendue, « pragmatique » nous dit l’auteur, d’un empereur et d’une foi largement minoritaire à ce moment-là. Au point d’induire cette interrogation fondamentale : mis à part le dessein divin, l’Europe avait-elle pour l’époque vocation naturelle à devenir chrétienne ? Le second ouvrage emprunte la voie à rebours : dans « Qu’est-ce que le sionisme ? », Denis Charbit retrace les multiples cheminements historiques et religieux d’un concept pourtant né il y a à peine plus de cent ans. Autant dire presque rien à l’échelle du judaïsme. Raison de plus pour tenter de cerner les destins qui semblent inextricablement les lier l’un à l’autre.

Dans un style inimitable, qui mêle profonde érudition et distance humoristique vis-à-vis de son objet d’étude, à l’image de l’inoubliable introduction (170 pages !) des Œuvres Complètes de Sénèque (Collection Bouquins chez Robert Laffont) , Paul Veyne nous conte un des événements décisifs de l’histoire occidentale : la conversion au christianisme de l’Empereur Constantin le 29 octobre 312. Conversion qu’accompagnèrent un rêve et une victoire militaire. La nuit qui précéda la bataille, l’Empereur romain reçut en songe la promesse du Dieu des Chrétiens de défaire son ennemi s’il « affichait publiquement sa nouvelle religion ». Son rival fut effectivement écrasé le lendemain dans les faubourgs de Rome. L’ouvrage de Paul Veyne consiste à s’interroger sur cette décision toute personnelle, « sincère » selon l’auteur, de Constantin dans un environnement qui lui était largement défavorable : Rome était « le Vatican du paganisme » et le christianisme faisait tout au plus figure de secte aux accents aussi étranges qu’originaux. Alors ? Paul Veyne semble saisir l’opportunité de cette brillante étude pour écarter toutes les fausses vérités et autres lieux communs sur les origines du christianisme. La religion du Christ un monothéisme ? Avec « Dieu, le Christ et plus tard la Vierge, la religion chrétienne est à la lettre polythéiste » observe l’auteur. La séparation de Dieu et du pouvoir politique ? Paul Veyne montre au contraire toute l’envergure du « césaro-papisme » des premiers temps. La morale, l’amour du prochain, le pardon, autant de notions inconnues des païens de même que le « gigantisme » de ce Dieu par rapport aux multiples divinités, ont sans doute contribué à son succès. Non content de ses imparables démonstrations, Paul Veyne ne résiste pas dans son dernier chapitre à s’interroger sur les « racines chrétiennes de l’Europe ». Plutôt un terrain favorable, répond l’auteur qui cite le sociologue Schumpeter : « Si la guerre sainte avait été prêchée aux humbles pêcheurs d’un lac de Galilée et le Sermon sur la Montagne à de fiers cavaliers bédouins, le prêcheur aurait eu peu de succès ».

sionisme.jpg Les racines, il en est aussi largement question dans l’ouvrage de Denis Charbit : entre « Sion », qui figure dans les prières d’imploration pour désigner Jérusalem à ceux qui se trouvent en exil et « sionisme » terme apparu pour la première fois en mai 1890, quelle destinée commune ? Le concept semble échapper à son créateur. Associé à une orientation territoriale exclusive chez certains, combinant trois critères (programme, organisation et action) selon d’autres, « Zionismus » pose d’emblée une question à ses partisans comme à ses détracteurs : est-il une résurgence du passé ou une expression de la modernité ? Tout l’intérêt de l’ouvrage réside dans la tentative de son auteur de multiplier, dans un effort louable d’exhaustivité, les approches susceptibles d’appréhender la nature et les enjeux de ce « produit », authentique funambule épistémologique entre le mot et l’idée, entre l’ancien et le nouveau, à l’image du « Altneuland » (le nouvel ancien pays) des rêves de Theodor Herzl. Ce n’est donc pas véritablement un hasard si le politologue égrène ses chapitres sous la forme répétitive de « projets », tous révélateurs de leur inachèvement autant que de leur dualisme intrinsèque. A la dimension territoriale (Eretz Israël ou coexistence avec un Etat palestinien) s’ajoutent les enjeux politique (création d’un Etat à la fois démocratique et religieux), culturel et linguistique (querelle entre l’hébreu biblique, le Yiddish et un langage contemporain profane), humanitaire (accueillir et protéger les réfugiés après la Shoah ou renforcer la diaspora). Loin de faire historiquement l’unanimité dans le camp même du judaïsme, le cheminement du « projet » fut passablement chahuté et chaotique. L’incertitude règne, par surcroît, encore et toujours sur son accomplissement définitif en raison des perspectives démographiques largement défavorables à la population juive, notamment dans la ville hautement symbolique de Jérusalem. Le sionisme est non seulement contesté par les ennemis irréductibles de l’Etat d’Israël. Mais aussi par ceux qui veulent y voir une forme de colonialisme. Les actes d’antisémitisme qu’il était censé abolir existent toujours, voire augmentent au point de signer, selon l’auteur, une forme d’échec. Denis Charbit préfère dans sa conclusion mettre l’accent sur « l’intensité remarquable de l’énergie » que celui-ci a permis de mobiliser ainsi que sur le chemin déjà parcouru. Reste toutefois une question : nourris du judaïsme biblique mais portés par une revendication de modernité politique, le sionisme, et avec lui l’Etat hébreu, ne risquent-t-ils pas de se voir imposer un jour prochain un choix drastique entre l’un et l’autre de ces deux piliers ?

Paul Veyne, « Quand notre monde est devenu chrétien » (312-394), Coll. « Bibliothèque idées », Editions Albin Michel, 2007, 320 p., 18 Euros.

Denis Charbit, « Qu’est-ce que le sionisme ? », Coll. « Présences du Judaïsme », Editions Albin Michel, 2007, 310 p., 11 Euros.

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