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2 mai 2024

Gemmayzé : des mini bars pour un maxi plaisir.

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<img22784|left> La rue Monnot est morte ! Vive Gemmayzé ! Revenons un peu en arrière pour le lecteur niçois. Au cœur de Beyrouth se situe ce qu’on appelle le rectangle d’or. Rien à voir avec une quelconque zone ou l’on distribuerait des substances illicites gratuites et en grande quantité. Pour se rouler gaiement dans les champs de pavot, il faut faire trois bonnes heures de route et se rendre à Baalbeck, dans la vallée de la Bekaa contrôlée par le Hezbollah.

Non. Cette figure géographique désigne le vieux quartier chrétien d’Achrafiyé : quatre places reliées presque symétriquement entre elles par de larges avenues. Côté Ouest, la rue Monnot, non loin de l’église et de l’Université des Jésuites, abritait jusqu’à peu une des plus grandes concentrations au mètre carré de lounge bar, restaurants et discothèques. Le samedi soir, il fallait parfois plus d’une heure en voiture pour descendre cette petite artère d’une centaine de mètres, aujourd’hui détrônée par une autre avenue, guère plus large mais disposant de quelques parkings supplémentaires : Gemmayzé. Cela suffira-t-il à garantir un succès durable ?

Nuit à Beyrouth
Nuit à Beyrouth
Quartier tout aussi traditionnel avec ses maisons libanaises aux balcons ouvragés, Gemmayzé, selon Makram Zeeny qui préside depuis sa création en mai dernier « l’Association pour l’Organisation de Gemmayzé et de ses alentours », correspond, par sa petite superficie, au « désir des libanais de se retrouver dans des espaces plus confinés ». Retrouver le vieux Beyrouth semble chose aisée lorsqu’on sait que ce quartier abrite l’une des plus vieilles institutions culinaires, le restaurant « Le Chef », ouvert depuis le 1er mai 1967 par trois frères dont l’un des descendants, le sympathique Charbel demeure intarissable sur les histoires du quartier. Des bonnes comme celle du fils d’un ancien Ambassadeur de Grande-Bretagne qui y traîna un jour son diplomate de père en lui disant qu’il « ne comprendrait rien au Liban sans venir déjeuner au Chef ». Des plus tragiques aussi comme celle de l’otage français Marcel Carton qui affectionnait tant cet endroit.

Le succès tangible de Gemmayzé procède un peu d’une forme de repli identitaire, une soif d’intimité, une enveloppe protectrice et maternalisante en ces temps d’inquiétude. Un besoin – consciemment ou non – bien identifié par les propriétaires de ces lieux aussi grands pour certains d’entre eux que des mouchoirs de poche ( parfois à peine 20 m2) , soudés les uns aux autres comme un pack de rugbymen mais, avec la même sensibilité toute intérieure de ces derniers, développant chacun un concept et un décor spécifiques. La créativité libanaise donne à Gemmayzé une idée de ses potentialités : exploitation audacieuse des volumes les plus exigus par ajout de petits balcons, loggia et mezzanines, mélange savamment dosé de moderne et d’ancien pour les décors intérieurs ( utilisation de portraits de famille probablement piqués à la grand-mère et éclairés avec des lumières colorées, toits arrondis de hangars d’un noir laqué comme au « Myu » – encore un substitut d’abri -, sculpture métallique en colimaçon qui ne mène nulle part mais autour de laquelle s’assoient les amateurs de poisson cru d’un Sushi Bar, de qualité fort recommandable d’ailleurs.

Sushi Soto
Sushi Soto
Une bonne cinquantaine de ces pubs accueille bien au-delà de la clientèle locale, celle de Verdun, de Hamra voire celle extérieure à Beyrouth. Alors, une autre rue comme comme celle de Monnot, à la population plus juvénile ou celle de Hamra, plus politisée ?

Soutenu par l’Union Européenne à travers des garanties bancaires venues sécuriser des investisseurs de confessions différentes mais tous d’origine privée, le secteur de Gemmayzé a connu un « départ difficile » en raison de la « proximité des milices du Hezbollah », confie Makram Zeeny. Quelques semaines après sa naissance, un mail fallacieusement attribué aux Nations Unies le décrivait comme un « lieu à éviter pour des raisons de sécurité ». La rue Monnot et quelques établissements de Kaslik, à une quinzaine de km de Beyrouth étaient également mentionnés. A la libanaise, la circulation « flash » du message électronique a ainsi contribué à la psychose collective des attentats à la voiture piégée. D’où l’ouverture d’une enquête judiciaire sur l’origine de cette « rumeur », toujours en cours. En réaction les patrons de bars se sont réunis avec des représentants des Services de sécurité et des Forces de police dans le but de coordonner les informations et de mettre en place des patrouilles. En fait, les premières réunions furent aussi consacrées aux moyens d’atténuer les nuisances provenant de l’ouverture de tant d’établissements de nuit dans un espace aussi restreint. Tout sentiment d’insécurité n’a pourtant pas été totalement vaincu puisque notre photographe a rencontré quelques résistances, voire même une interdiction de prises de vue par crainte, selon le manager d’un restaurant, d’être ensuite l’objet de tracas… dont la nature n’a pas été précisée. Il est vrai que ce restaurant de spécialités françaises avait l’habitude d’accueillir régulièrement le regretté journaliste et intellectuel anti-syrien Samir Kassir, assassiné par une bombe placée sous sa voiture. Les enquêteurs étaient même venus interroger les serveurs et s’enquérir de l’existence d’un éventuel voiturier. Quelques jours plus tôt, le politicien Georges Hraoui connaissait un sort identique après avoir dîné sur place.

Gemmayzé qui rit et Gémmayzé qui pleure est devenu une « sorte de baromètre de la bonne santé des libanais » mais aussi de « leur relation à la politique », explique le responsable de l’Association. Trois chansons à la mode, écrites par Elie Khayat, ancien Officier municipal du quartier, sont reprises souvent après quelques rasades d’alcool: la première en 2005 critiquait la démagogie des politiciens. La seconde, une année plus tard, invitait les mêmes « politiciens de tous bords à partir en vacances pour longtemps », tandis que la dernière cette année regrette que les politiciens soient restés mais « le peuple parti ». « Nous sommes tous libanais » affirment ostensiblement les serveurs dont les prénoms trahissent pourtant de solides et inaliénables appartenances confessionnelles.

Derrière ce tableau très optimiste, une ombre persiste. En fait, l’obsession des Libanais pour les nouveautés pourrait, comme dans le cas de la rue Monnot avoir raison de Gemmayzé. Certains des investisseurs ne s’y trompent pas. L’un d’entre eux, propriétaire de deux restaurants, l’affirme sans diplomatie : « dans deux ans, Gemmayzé sera mort ». Ce riche homme d’affaires recherche déjà d’autres locaux… sur Hamra dont il garantit « l’explosion de la popularité dans un même délai ».

C’est peut-être pour contrer ce risque d’usure que les promoteurs de ce quartier ont imaginé d’organiser, au cours des deux premières semaines d’octobre, un grand festival culturel destiné à renforcer sa dimension internationale. Musiciens, sculpteurs et artistes de rue pourraient se produire dans une avenue rendue piétonne le soir. Pari d’autant plus risqué qu’il repose sur l’hypothèse d’une claire mutation des mentalités libanaises.

Avec l’aimable collaboration de la photographe libanaise (New York) Jessica Kalache : jkalache@gmail.com

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