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4 mai 2024

L’Edito du Psy – Jeu de la mort sur France 2 : quel angélisme !

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jpg_bobine2008-82.jpgMalgré les cris d’indignation scandalisée et les véhémentes protestations de tous ceux qui ont, à cette occasion, dénoncé les abus de la télé-réalité, il faut franchement se réjouir de l’émission du « jeu de la mort » programmé récemment sur France 2. Riche d’enseignement, elle recèle, par surcroît, d’inestimables vertus « cliniques ».

En premier lieu, elle expose au grand jour l’incommensurable étendue du naufrage télévisuel : rechercher les succès de l’audimat en instrumentalisant la dénonciation de ses mécanismes les plus morbides relève en effet de l’exploit : une rare intelligence de la perversion qui garantit, pour plagier une célèbre formule juridique, le fait d’être entendu alors même qu’on invoque sa propre turpitude. Elle trahit en creux le désert culturel et la sécheresse intellectuelle d’un paysage audiovisuel qui ne sait plus dans quel sombre placard puiser des idées nouvelles.

Comble de la manipulation, cette programmation a ensuite permis de dédouaner les responsables de la télévision en retournant sur les participants au jeu et sur les téléspectateurs de la soirée, la honte culpabilisante de la « banalité du mal » : loin d’incriminer dans leur principe, la tenue de ces arènes électrisées, ce pain et ces jeux ont désigné les tribunes populaires à la vindicte générale. Sous prétexte d’une mise en garde liminaire, bien pâle en comparaison du battage médiatique annonçant le « documentaire », César et ses acolytes en sont ressortis disculpés. Qui sait même si demain, au regard du vif intérêt porté à cette émission par les jeunes, ils ne seront pas congratulés pour leur audace pédagogique.

Troisième conséquence, faudra-t-il dire heureuse ? Loin du politiquement correct, cette émission rompt brutalement avec une croyance rassurante et finalement répandue : celle, un jour prochain, d’obtenir par la quantification scientifique de la souffrance et la mesure chiffrée du désir, un comportement humain irréprochable, débarrassé de toute forme d’agressivité. Quel angélisme ! La fonction apaisante du « prime time » n’est décidément plus ce qu’elle était. « L’être humain, nous rappelle le spécialiste Serge Tisseron, recherche des représentations de ce qu’il éprouve » et qui « lui permettent de partager des émotions intimes de la vie quotidienne en les déplaçant sur des représentations sociales » (in « La violence de l’image », Sous la direction de Florian Houssier, Edition In Press, 2008).

Ce « jeu de la mort » est en effet venu rappeler l’inaltérable capital de violence tapi au fond de chaque être humain. Il a fait craquer le vernis d’un comportement policé et urbain, tant espéré par la civilisation dont le moteur essentiel demeure la « colère », sinon la rage, si l’on en croit le philosophe allemand Peter Sloterdijk (in « Colère et temps », Editions Hachette Littératures, 2009). Autant d’illusions qui volent en éclat sous le poids de frustrations, elles-mêmes accentuées par la violence inhérente au rôle dévolu à l’image : peu importe la substance et l’expertise, indépendamment de l’authenticité pourtant gage de l’identité, seul ce qui est « vu » existe. Terrible sentence. Frénétique loterie. Point n’est alors besoin d’une « autorité légitime » : dans la lutte tourmentée pour sa reconnaissance narcissique, l’être moderne fragilisé se vend au plus offrant, au regard de l’autre qui le vampirise plus qu’il ne le constitue. Malgré les proximités reconnues de la peau avec la psyché, l’écran de télévision ne possède pas encore les mêmes propriétés « totales » que celles attribuées aux crèmes solaires. Les « tortionnaires » invités sur le plateau guériront-ils jamais de ces brûlures internes ?

La psychanalyse qui traite avec cet abîme pulsionnel de la violence fondamentale et rencontre au quotidien les formes les plus fantasmées -ou parfois actées- de son indicible sauvagerie, le sait bien : dans le transfert -et la discrétion absolue du cabinet de consultation- une haine inépuisable se révèle le plus souvent l’excellente conseillère des progrès enregistrés dans la cure.

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