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4 mai 2024

Alexandre Tchoubarian : la Russie et l’idée européenne

Dans un article récent du magazine « Novoïe Vremia » (The new Times : https://newtimes.ru/articles/detail/9011/), un des rares à se situer encore dans l’opposition au Kremlin, Lilia Tcherzova, du Centre Carnegie à Moscou, s’interroge sur l’influence de l’Ouest dans la politique intérieure de la Russie. Son approche critique sur le réalisme occidental, un aveuglement largement nourri, selon elle, d’illusoires espérances énergétiques et industrielles, offre un saisissant contraste avec l’étude sur un sujet identique publiée récemment par Alexandre Tchoubarian, Président de l’illustre Académie des sciences de Moscou. Dans sa préface, Jacques Sapir, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, a raison de recommander la lecture de ce livre. Peut-être pas pour les raisons qu’il avance sur le « concept typiquement russe d’européisme ». Sans que l’on parvienne véritablement à se persuader qu’il s’agit de ses réelles intentions, les réflexions de l’auteur contenues dans « la Russie et l’idée européenne » résument à elles seules toute l’ambivalence millénaire de ce vaste continent à l’égard de l’Europe. En témoignent, sur le fond comme sur la forme, les pensées, la structure et le style de cet essai.

Certes, la mention de très nombreuses références crédite ce document d’un intérêt historique : de l’antiquité à nos jours, l’auteur qui est aussi Directeur de l’Institut d’histoire universelle de Moscou, égrène les noms de poètes, d’écrivains et de philosophes russes souvent inconnus en occident et dont les travaux ont pourtant facilité ou renforcé cette approche européenne de la Russie. Si l’auteur se plaît également à citer Pouchkine, Herzen, Dostoïevski, Tchekhov ou Tolstoï pour les éclaireurs du XIXème siècle, Pasternak, Soljenitsyne, Malevitch ou Chostakovitch pour ceux du XXème, il oublie souvent de rappeler le fait que la plupart d’entre eux connurent le bagne, l’exil ou l’ostracisme en raison de leurs idées.

jpg_tchoubaok.jpgMalgré la possible ascendance « normande du fondateur de Novgorod en 862 » -le berceau du futur Etat russe-, les réflexions prudentes de l’auteur traduisent ses hésitations entre la tentation atavique d’instruire un dossier à charge contre l’Europe et la possibilité, à peine entrevue, d’une responsabilité plus directe de la Russie. Une Russie qu’il décrit ballottée au fil des siècles entre son désir d’adopter les valeurs du système occidental et une tendance au repli sur soi. Pour finalement constater un « retard », qu’il éclaire par les soubresauts de l’histoire russe : le « razkol » (le schisme religieux) de 1054 entre les Eglises d’Orient et d’Occident, les invasions tatares-mongoles du XIIIème et XIVème siècle, « arrêtant le développement du pays pendant deux siècles », les guerres modernes, la période soviétique.

Alexandre Tchoubarian pointe notamment du doigt les stéréotypes construits à l’encontre de son pays par les occidentaux et propagés par les notes diplomatiques, les écrits des commerçants ou les correspondances artistiques : le « Voyage en Sibérie » de l’abbé Chappe d’Auteroche en 1761 et, moins d’un siècle plus tard, les « lettres de Russie de 1839 » du marquis de Custine -un tirage exceptionnel de 200 000 exemplaires pour l’époque- sont critiqués sur un mode infantile et affectif, symptomatique d’un complexe sous-jacent. Sans jamais se poser la question des éventuelles raisons de cette perception -la tradition autoritariste notamment-, il en vient à regretter que cette « vaste littérature ait constitué l’unique source d’information des Européens de l’Ouest ».

Dans un ultime chapitre consacré à « la Russie démocratique dans l’Europe actuelle », l’auteur évoque les bouleversements de l’époque gorbatchévienne insistant davantage sur l’adhésion des anciens satellites de l’URSS à l’Union Européenne avant de reconnaître, en filigrane : la Russie ne s’est jamais autant rapprochée de l’Europe que sous la présidence de Boris Eltsine. Sa conclusion « l’Européisme russe a-t-il un avenir ? » laisse à penser que l’auteur marche désormais sur des œufs. Déjà très officiels, son discours et sa pensée se dessèchent. Sans craindre le paradoxe, Vladimir Poutine est ainsi présenté comme celui qui « consolide l’Etat, renforce la conscience nationale et ressource les valeurs traditionnelles »: une politique, reconnaît Alexandre Tchoubarian, qui provoque autant de « vifs débats à l’Ouest » qu’elle est « majoritairement soutenue en Russie ». Et l’auteur d’y déceler la meilleure « garantie par la suite du choix européen de la Russie » !

Si l’on en croit un important dirigeant bancaire européen récemment sollicité pour le financement d’un projet de création, par des jeunes entrepreneurs russes, d’un ambitieux service de presse en ligne, le « risque politique élevé rendra extrêmement difficile de trouver de l’argent privé pour financer le lancement d’un journal en Russie ». C’est dire si les fameux « clichés » ont la vie dure !

Alexandre Tchoubarian, « La Russie et l’idée européenne », Editions des Syrtes, 2009.

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