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4 mai 2024

A Nice, Jean MarieTarragoni rejoue son Standard

Nice Premium : Jean-Marie Tarragoni, comment définiriez-vous Le Standard ?

tarragoni.jpg Jean-Marie Tarragoni : Définir Le Standard ? Je laisse chacun en décider. Il y a ceux qui diront que c’est un journal de Gauche, d’autres le diront anarchiste… J’ai même entendu dire un jour que c’était un journal du Front National! On le qualifie souvent de Canard Enchaîné de la Côte. Il y a ceux qui prétendaient à une époque lointaine (les années Médecin), que c’était un journal proche du « Pouvoir »… Sans qu’on sache de quel pouvoir il s’agissait vraiment. Moi j’ai l’habitude de dire que c’est un journal de journalistes. Il a du tempérament. Je crois en avoir aussi; donc cela transparaît. Je suis un homme du Sud. Mes journalistes aussi. Donc il y a une verve et un engagement. Alors, Le Standard je le veux impertinent, drôle, libre et dérangeant…

NP : Vous traquez la corruption, vous êtes une sorte d’Eliot Ness niçois ?

JMT : Eliott Ness ! c’est un pur. Je n’ai pas cette prétention. Certains de vos confrères m’ont comparé plutôt à Corto Maltese. Il y a plus de nuances et de contradictions dans le personnage d’Hugo Pratt. Cela me convient mieux. Je ne suis pas un saint: mon premier métier était soldat. J’en ai gardé le goût de l’action et surtout l’envie de me battre. J’ai changé de cause, c’est tout. La corruption dans cette région est récurrente.J’en connais bien les multiples visages. Au début des années 80, j’avais 19 ans. Mon père est mort dans une cellule du commissariat Gioffredo. Le nombre de blessures qu’il avait (dont une fracture de 17 cm au crâne!) prouve qu’il a terriblement souffert. Il s’était présenté seul quelques heures auparavant aux services des urgences de Saint Roch. Aucun médecin ne l’a vu. Un faux certificat a été établi et délivré sur papier à en tête d’un médecin qui n’était pas présent. Et au bout de l’instruction judicaire personne n’était coupable. Personne n’a été poursuivi. Il n’ ya jamais eu la moindre condamnation. Mon père, qui n’était « personne » est mort dans une cellule d’écrou sans comprendre pourquoi il s’y trouvait; alors qu’il était venu chercher du secours dans un hôpital. J’étais parachutiste au Tchad à l’époque. je n’ai rien pu faire. Il y avait trop d’institutions en cause. Et pas un mot dans la Presse. Quelques années après, je suis redevenu civil et journaliste dans ma Ville avec l’envie de faire de l’investigation et de comprendre dans quel milieu l’on évoluait. J’ai été servi.

NP : Comment jugez-vous la presse locale et les différents médias d’informations azuréens ?

JMT : Pour juger les Médias actuels il faut revenir au contexte des années 1988 à 1995 date de parution du Standard.
Le Standard a beaucoup dérangé dans les années Médecin. Il était aussi le seul Média écrit qui donnait la parole à tout le monde sans être d’aucun parti. Il y avait (et il y a toujours!) le Patriote, journal communiste, dont les dirigeants ont permis, on l’oublie trop souvent, de maintenir une rotative dans le Département. Ce qui a souvent aidé de jeunes parutions qui tentaient de rompre le monopôle de Presse de Nice-matin. Il faut leur rendre cet hommage… Sans eux, la liberté d’expression était inexistante.

Le Standard se frottait au système avec une certaine efficacité. Il a eu de nombreux procès durant ces années là. Un jour j’étais assigné par un homme politique niçois, partie civile contre moi, devant le tribunal correctionnel de Nice et le président qui jugeait était salarié dans une activité universitaire …par la partie civile ! Pas un média local n’évoquait le scandale que cela représentait. Une autre fois j’étais assigné devant une juridiction: le juge qui me jugeait était en procès par ailleurs contre moi. Un jugement me condamnait… il était signé par des magistrats qui n’avaient jamais siégé aux débats ! Jamais le moindre geste de sympathie de la part des « confrères ». Une autre fois j’avais la visite de policiers sur demande d’un magistrat du parquet suite à une plainte d’un juge pour une prétendue affaire qui se révéla être un montage. Le policier a été condamné à de la prison dans un autre dossier. Le magistrat a été impliqué dans un scandale retentissant et condamné. Et le juge qui avait demandé des poursuites contre moi a été mis en prison dans un dossier trois ans plus tard! (On m’a tout de même présenté des excuses !). C’était une « commande », comme d’autres avaient des « contrats ». Côté Médiatique, ce n’était guère mieux. Certains journalistes étaient dans le système, rémunérés par ses médias, une radio notamment. Ils écrivaient contre moi des articles à la demande ou même dans des livres. Qui se souvient encore dans les rédactions d’aujourd’hui ce qui se passait dans une certaine agence de Presse à l’époque ? Pas une dépêche ne partait de Nice sur les dossiers concernant la Mairie. Agence dont le directeur avait monté des sociétés de publicité avec le lieutenant de Jacques Médecin. Ce dernier supervisa la fuite de Jean-Dominique Fratoni, l’ancien patron du Casino Ruhl qui s’était réfugié dans les Caraïbes, depuis les bureaux de cette agence de Presse. Il avait peur que son téléphone en mairie ne soit mis sur écoute. C’était l’époque où il fallait faire appel aux policiers de Paris et dépayser les affaires pour y voir clair. C’était l’époque où les journalistes niçois étaient fichés dans les ordinateurs d’un parti politique de Droite. (J’avais droit à deux pages à moi seul). Ou Jean-Claude Honorat, reporter à FR3 dut dormir avec une arme sous l’oreiller parce que menacé pour avoir osé parler des « affaires » à l’antenne. C’était l’époque où la corruption était arrivée à un tel degré de « sophistication » que les policiers, les magistrats, les fonctionnaires, les journalistes, les politiques, les élites en général qui s’étaient fourvoyées se rencontraient dans la plaine du Var et « échangeaient » les infos oubliant pour les uns leur honneur et pour les autres leur mission. Il fallait attendre que le Canard Enchaîné, le Monde, Actuel, Événement du jeudi reprennent Le Standard pour « que ça bouge ».

Aujourd’hui, le contexte Niçois est différent. Il n’y a plus de système à Nice. Alors, il y a une vraie différence. Nice-Matin par exemple s’ouvre sur la société et ne pratique plus la politique de la chappe de plomb. Il est vrai qu’il est maintenant dirigé par un journaliste (ça fait une différence!). Le quotidien a même annoncé la renaissance du Standard. Et il évoque les problèmes avec ses salariés lors de conflits internes. Inconcevable dans les années 90. France 3 n’est plus la « télé-préfet » des années 80. Mais demander des dossiers d’investigation à des journalistes qui disposent d’une minute trente d’antenne par sujet est illusoire. Et les journalistes du service public en sont les premiers frustrés. Les ex-radios libres ont permis à de jeunes journalistes devenus aujourd’hui des cadres de la Presse audio d’adopter un ton irrévérencieux sur leurs antennes. Internet démultiplie les lucarnes médiatiques et révèle de vrais talents créatifs. Il y a encore des journalistes « serviles », mais ils sont peu nombreux et ce sont rarement les meilleurs.
A terme, il y aura des changements radicaux localement, le support gratuit qui ne veut pas dire médiocre, couplé à internet est l’avenir de ce métier. Internet va tout bouleverser parce que le vecteur est évolutif à très grande vitesse et nécessite moins de moyens que la Presse papier ou télé. Mais il y aura encore longtemps la barrière de l’argent. Et pour les journalistes locaux, la formation généraliste est indispensable. Les journalistes locaux doivent s’affranchir d’internet pour aller aux sources, un moteur de recherche ce n’est pas une garantie.Par contre, internet c’est une égalité des chances entre rédactions locales de différentes sensibilités, « riches » ou « pauvres ».

lestandard.jpg NP : Quels sont les projets du Standard et de JM Tarragoni dans les prochains mois ?

JMT : Les projets du Standard sont d’abord rédactionnels. Lancer un journal ne peut se faire qu’avec de l’argent, certes, mais surtout avec de la matière. Je ne saurais pas faire ce que font nos confrères d’hebdomadaires locaux plus économiques ou « localiers ». C’est une forme de journalisme qui a ses lettres de noblesse mais qui ne m’intéresse pas. L’investigation ce n’est pas seulement « les affaires », mais aussi les sujets de société: logement, environnement, économie. Il y a matière à dire et le rythme hebdomadaire se prête à des articles de fond. Ensuite, ils sont commerciaux. Tout le monde a constaté que nous n’avons pas de publicité ou presque pas. C’est un parti pris. Je voulais éviter les pressions sur les annonceurs dés les premiers numéros. Malgré cela, nous avons du annuler une campagne d’affichage qui devait avoir lieu en mars.L’afficheur ne voulait pas irriter la ville de Nice. Le calendrier électoral nous sert et nous « surferons » dessus. Quatre élections majeures en un an, c’est du « jamais vu »! Dés que nous estimerons avoir atteint un degré de qualité probant, nous demanderons à être diffusé comme Métro sur la voie publique en gratuit hebdomadaire. Ce sera une première en France. Nous avons écrit aux communes du littoral et une a déjà répondu oui. Nous installerons alors des « racks » de distribution. Peut-être que dans un proche avenir à Nice les usagers du tramway trouveront Le Standard aux stations?

NP : La Présidentielle approche à grands pas. Que pensez-vous des candidats en lice ?

La présidentielle est l’élection qui donne le ton à la vie publique française. Les français l’ignorent en général, mais leurs dirigeants si décriés sont plutôt mieux formés à cette mission que leurs homologues étrangers. Sans doute parce que la « professionnalisation » de la politique les fait durer plus que de raison chez nous. Le cumul des mandats dans le temps aide à cela, même si il est pernicieux par ailleurs.Les principaux candidats actuels, qui ne veulent plus être otages de leurs familles politiques respectives, tiennent des discours schizophrènes. Et on voit bien que dès qu’ils tentent de s’affranchir des cadres (on pourrait dire des carcans) instaurés par les partis dont ils sont issus, ça se fissure. Mais ils sont d’une autre génération. ils n’ont pas connus de Guerre. Ils sont même peu expérimentés par rapport à des questions de défense, on la vu avec la question des sous-marins et Ségolène Royal. Ou impressionné par l’impérialisme américain en politique étrangère, comme l’a été Nicolas Sarkozy avant de se rappeler que la France était singulière en ce domaine. François Bayrou est une vraie curiosité car il s’est construit contre les médias dominants et non avec. Mais il est peu loquace sur après élection et dans les jours qui viennent ce sera son principal handicap. Jean-marie Le Pen est déjà en train de préparer après présidentielle et rêve de faire un croc en jambe à l’UMP aux législatives. Quant aux autres, on reste admiratif devant la combativité intacte après six présidentielles d’une Arlette Laguiller ou agréablement surpris de la tranquille assurance d’un Besancenot: ils en viendraient à nous faire oublier qu’ils prônent toujours la révolution et non l’évolution de la Société. José Bové, De Villiers, Dupont Aignan et même Marie-Georges Buffet ont en commun de porter des convictions qui resteront minoritaires aussi longtemps que les modes de scrutins n’évolueront pas. Paradoxalement, si Bayrou passe et établi comme il le promet la proportionnelle aux législatives, ces personnalités et les mouvements qu’elles incarnent se feront mieux respecter des grands partis. Le scénario qui peut se passer en 2007 sera peut-être ce que François Mitterrand avait prévu en 1988 lors d’une discussion avec Raymond Barre après la présidentielle. Il avait souhaité tourner le dos au programme commun de la Gauche et orienter la France vers une société social-Démocrate pour l’arrimer solidement à l’Europe. Vingt après… C’est en général le temps qu’il faut en France pour qu’une idée devienne concrète.Mais je ne suis pas devin et ne sais dans quel ordre cela sortira.

NP : Juste après ce sera le tour des législatives et des municipales. Le standard s’impliquera-t-il dans ces scrutins ?

JMT : Le Standard est déjà impliqué dans les scrutins qui s’annoncent dans tout le Département. Nous avons annoncé la couleur dès nos premiers numéros. La Ville de Nice mérite qu’enfin on la sorte de la médiocrité dans laquelle on l’enfonce. Mais, et c’est un niçois qui parle, c’est d’abord l’affaire des habitants de cette ville. Notre message sera clair: choisissez qui vous voulez à droite ou à gauche, (où ailleurs!) mais soyez exigeants. Nous veillerons au grain en ce qui nous concerne. Nous aurons aussi un message permanent: nous souhaitons que les élus dans les conseils municipaux notamment, se rappellent qu’ils sont des élus du peuple et non pas le soutien d’un homme ou d’une formation. Et là, il y a encore du boulot à faire. Quand on voit le nombre de béni-oui-oui qui suivent sans oser prendre la parole en public pour dénoncer telle ou telle déviance alors qu’en privé ils nous racontent tout et s’en émeuvent (sinon comment ferions nous ce journal?) on se dit que c’est pas gagné.

NP : Enfin, votre plus grand souhait pour 2007 ?

JMT : Mon plus grand souhait pour 2007? Entendre l’actuel maire de Nice dire « je démissionne si Tarragoni cesse d’éditer Le Standard ». Mais le génie est déjà retourné dans sa lampe.

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