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3 mai 2024

L’Edito du Psy : l’identité nationale en débat à Nice : entre frustrations et catharsis

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jpg_bobine2008-70.jpgL’exercice s’annonçait périlleux. Sa portée s’en trouva donc limitée. Logique implacable de l’Etat qui sait prendre en ce domaine toutes les précautions d’usage. Le « grand débat national », selon l’expression employée jeudi soir par le Président du Conseil général Eric Ciotti, s’est finalement transformé en comité de quartier. Un débat en catimini, avec une information préalable à la visibilité réduite : un entrefilet de cinq lignes dans « Nice Matin ». A l’Université ou chez des commerçants du coin, peu semblait informé de l’existence de cette réunion. Peu s’en souciait d’ailleurs. Cause ou conséquence, l’assistance présente dépassa à peine les deux cent vingt sièges de l’intime auditorium du MAMAC de Nice. La salle de l’Acropolis ou l’amphithéâtre du CUM risquaient-ils de paraître déserts ? Ou plus difficilement maîtrisables ? Et ce, en dépit du cordon de police stationnée à l’extérieur et de la surveillance exercée par les vigilants fonctionnaires de la DCRI à l’intérieur ?

Discrétion médiatique, cadre restreint, entrées filtrées, « timing » serré : l’identité nationale fut discutée en à peine deux heures : l’imposante clôture des travaux du Synode épiscopal au Nikaïa, la longue soirée annuelle du CRIF sur le thème « qu’est-ce qu’être français juif ? » ou la pleine journée d’études consacrée à la place des musulmans en France par la jeune Fédération Mosaic firent nettement mieux. Sans parler des discours introductifs suscitant l’impatience manifeste du public, et au cours desquels le préfet Francis Lamy et Eric Ciotti se partagèrent les rôles mais restèrent unis par la même finalité : gagner du temps.

Le Préfet s’est prudemment cantonné au rôle technique d’organisateur. Au risque de suggérer un sentiment de distance, celui d’un Etat qui condescend, du haut de son jacobinisme centralisateur, à la réflexion. Assez loin finalement de la « noblesse » d’un sujet évoquée par Nicolas Sarkozy et qui, au contraire, requérait un supplément d’âme. On ne blâmera pourtant pas le représentant de l’Etat, coincé entre l’injonction présidentielle -celle d’organiser coûte que coûte ce débat- et l’interdiction d’un périmètre politique sanctuarisé par les ténors du département. On sait depuis quelques temps la fragilité statutaire de la préfectorale.

Le Président du Conseil général n’a pas hésité, quant à lui, à s’aventurer sur le terrain politique. Sinon électoral. Savant dosage d’un discours qui sait aiguillonner pour désamorcer aussitôt, suscitant l’apaisement identificatoire et cathartique: la satisfaction d’avoir été entendu avant même d’avoir pris la parole. Un discours en forme de slalome entre deux écueils sensibles : « il n’y a pas de race française » a martelé Eric Ciotti. La « France est une terre de brassage et de métissage » a-t-il ajouté, avant de poursuivre : « mais ceux qui veulent devenir français doivent d’abord respecter les lois de la république ». Aux grondements initiaux succédèrent de vifs applaudissements. L’intelligence au service de la persuasion. Tout un art.

Un débat que Francis Lamy a légitimement souhaité « républicain », dans le « respect des idées différentes », avec pour « limite » les « lois de la république » : les intervenants ont donc été implicitement prié de faire bref et concis, de maîtriser leur passion, d’éviter les dérapages et les extrémismes. Mais lorsqu’on demande à « Marianne de faire sa psychanalyse », pour reprendre les termes du Président du Sénat, faut-il aussi lui interdire de se décharger -violemment- de ses affects, sinon de ses souffrances, et exiger d’elle qu’elle soit passée par Sciences Po ou l’Ena ?

Dans les interventions du public, alternant émotion à peine contenue et vif emportement, il a été beaucoup question de la « Marseillaise » et du drapeau, second symbole trop souvent escamoté des édifices publics : « on n’est pas français seulement le 11 novembre et le 8 mai » a ainsi expliqué un jeune lycéen ovationné. Avec, en creux, l’expression récurrente de peurs indicibles et de profondes frustrations. Et, en toile de fond, la question d’un islam souvent réduit aux sérieuses menaces contenues dans sa version la plus radicale. A la « France éternelle » défendue par l’un répondait le « cri d’injustice » de l’autre. Besoin finalement d’écoute et de reconnaissance des deux, objectif rendu aléatoire par des mutations sociologiques forcées et réalisées sous tension : une même personne reçut le soutien appuyé de l’assistance quand elle fustigea le « viol de souveraineté populaire » du vote de février 2008 -le Parlement approuva une version réduite du Traité de Lisbonne rejeté par référendum en 2005- mais subit la vindicte générale lorsqu’elle réclama la « sortie de la France de l’Otan et de l’Europe ». Idem pour un rabbin qui osa questionner la place de la femme dans le monde du travail.

La « mosaïque de nationalités » niçoise évoquée par Eric Ciotti ce soir-là aura-t-elle réussi à se parler avec elle-même ? Il faut l’espérer. Lorsque deux personnes se lancent des invectives au lieu de se jeter des pierres, c’est déjà un grand progrès pour l’humanité, ironisait Sigmund Freud.

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