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3 mai 2024

« Music Hall » de Beyrouth : Mélodie en sous-sol

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03082007135.jpg Le Liban, c’est un peu comme une psychanalyse, on peut toujours en parler, faire mention de ce que l’on a entendu dire à son propos mais en fin de compte, il faut l’avoir réellement pratiqué pour en comprendre les ressorts les plus intimes. Ne pas s’allonger sur le divan tout comme éviter de vivre dans le pays en question ne permettent pas la garantie d’accès aux principaux signifiants.

Entre les élections législatives partielles du Metn et celles du Président de la République en septembre prochain, le Liban est presque au bord de la guerre civile et la Communauté internationale multiplie les efforts pour aider le Pays du Cèdre à trouver une issue à ses problèmes. On pourrait , dans ces conditions, penser que ses habitants se terrent chez eux, tétanisés par l’imminence du danger. Ce serait ignorer l’extraordinaire pulsion de vie inhérente aux Libanais. Un vieil ami de
Beyrouth me racontait récemment comment il avait, pendant la guerre de 1975, fait refaire six fois le balcon de son appartement d’Ashrafiyé, détruit par les bombardements successifs. Cette tension n’est peut-être pas sans rapport avec le besoin exacerbé de trouver coûte que coûte un exutoire dans les plaisirs. Comme ces articles s’efforceront de le montrer, la vie nocturne demeure intense. En dépit de tout. Ou plus vraisemblablement en raison de.

Commençons par le « Music Hall », un cabaret à la mode où se produisent chaque fin de semaine toutes sortes de « musiques du monde ». Situé au centre ville, il se retrouve coincé, d’une part, entre les tentes plantées par les miliciens du Hezbollah qui, pour environ 50 dollars par nuit – le revenu moyen mensuel est de 500 dollars – occupent de force cette partie de Beyrouth , et, d’autre part, des doubles rangées de fils barbelés noués autour d’ un char de l’armée régulière dont la tourelle semble jouer les poteaux indicateurs de la direction à suivre pour parvenir à destination finale. Dans cette ambiance un peu particulière, on se demande qui oserait s’aventurer jusqu’à l’ immeuble « Starco » dont les sous-sols – lesquels avec les terrasses de derniers étages deviennent pour des raisons évidentes de sécurité des lieux très prisés – abritent un cabaret parmi ceux des plus branchés de la capitale libanaise.

Depuis quatre années déjà , Michel Elefteriades règne en maître absolu de ce gigantesque night-club refait à neuf et de plus de 500 places . Maître absolu n’est pas un vain mot puisqu’à l’image du spectacle découpé en « tranches » éclectiques, « Son Excellence » Michel Ier, « Empereur » autoproclamé du « Nulleparistan », pays imaginaire à la Peter Pan, apparaît comme un personnage psychiquement un peu éclaté et dont l’histoire individuelle trop intense, partagée entre la guerre du Liban, son exil en France suivi d’un engagement aux côtés de Fidel Castro à Cuba, l’aurait condamné à se réfugier dans un univers fantasmatique. Bien qu’il se prétende « islamiste athée », il ne semble pas avoir oublié son catéchisme de base selon lequel « charité bien ordonnée commence par soi-même : il écoute ainsi ceux qu’il nomme « ses sujets », recrute lui-même « ses artistes » qu’il invite à nourrir « ses droits de producteur ». D’une grande qualité, son spectacle propose une alternance chaotique mais non dénuée d’intérêt artistique de groupes latino et arabo-cubains (Hanine y son cubano), des Jazz Band, des chanteurs libanais plus traditionnels mêlant leurs voix à celles de chanteurs plus contemporains (Wadih el Safi et José Fernandez), des musiciens palestiniens ( les Frères Chehade) , des instrumentistes tziganes des Balkans, voire même un imitateur masculin d’Edith Piaf avec une belle voix mais débordante de tremolo, autant d’artistes mixés dans un étonnant patchwork aussi haut en couleur que celui qui les a découverts et produits. Aucun problème avec le Hezbollah voisin puisque Michel Elefteriades soutient Michel Aoun, considère « Israël comme une aberration », comprend « parfaitement ceux qui deviennent des terroristes », regrette qu’il n’y ait pas de « 11 septembre tous les ans » et revient d’une conférence prononcée à l’université de Téhéran : forcément ça aide. Son opposition générale à l’alcool n’empêche pas son établissement d’en vendre des centaines de bouteilles le long d’un bar impressionnant et fier de marques qui, dans un temps pas très ancien, déclenchaient les foudres de « Al Manar », la télévision du « Parti de Dieu ». Ce buveur soit disant invétéré d’eau minérale ne prête guère attention au fond d’écran de son ordinateur personnel qui joue avec des animations de canettes et bouteilles de chez Heineken. Ce lieu possède dans tous les cas quelques lettres de noblesse : Bernard Pivot y présida à l’exercice d’une de ses célèbres dictées .

03082007139.jpg Tout au long de la douzaine de prestations, un public, certainement éloigné de cette idéologie politique, trépigne d’enthousiaste et ovationne debout les artistes. Avec 30 % de clients fidèles et sans aucun budget consacré à la promotion publicitaire – rien que le bouche à oreille – le « boss » aux cheveux longs que le Général Aoun lui aurait « demandé de faire couper » pour devenir son adjoint, ressemble tout habillé de noir à un prêtre orthodoxe et avec sa canne, à un méchant héros vendeur de caviar dans « Le monde ne suffit pas ». Il peut néanmoins se targuer d’un authentique succès. Un bon chef sait, dit-on, bien s’entourer pour palier ses propres déficiences. Son second nettement plus cartésien, Jade Aboujaoude, tout droit sorti du management réussi des Beach parties de la banlieue sud de Beyrouth ( Bamboo bay, Jiyé), fait preuve de remarquables qualités d’organisateur : des réservations sélectives qu’il accorde ou non en fonction de la voix des intéressés au téléphone (mieux vaut parler français ou anglais pour retenir une table et ne pas tomber dans la catégorie des indésirables) a passé un habile contrat avec la tour « Starco » pour commuter tous les soirs à 22h30 le réseau électrique de la scène sur les générateurs de l’immeuble afin d’éviter une coupure de courant.
« Music Hall » résume en quelque sorte une part de ce génie libanais : créativité artistique aux limites de la folie, beaucoup d‘audaces et de provocations, un rien de show off…et un bonne dose de débrouillardise.

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