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4 mai 2024

Islam et antisémitisme: l’ombre de Téhéran et la lumière du Livre

self_islam.jpg Il se nomme Abdennour Bidar. Abdennour veut dire : « Serviteur de la lumière ». Et la lumière, fort heureusement, le lui a bien rendu. Il explique d’ailleurs que ce prénom a « inspiré son imaginaire ». En fait d’imaginaire, une véritable bouée de sauvetage. Il fallait bien cela dans un parcours d’enfance ballotté entre un grand-père auvergnat viticulteur et communiste athée, une mère médecin convertie à l’islam peu de temps avant sa naissance et un Marocain qu’il « considérait comme son père », musulman prosélyte du Tabligh fondamentaliste pakistanais. On en serait spirituellement écartelé à moins.

Digne de Victor Hugo pour son scénario et d’Emile Zola pour la noirceur de son réalisme, l’épisode de l’abandon paternel à 5 ans – le père suit un soir ses coreligionnaires en laissant le petit Abdennour seul dans une Mosquée où il passera la nuit – renforcera son exigence de comprendre. La douleur intériorisée de la perte cède bientôt la place à une soif inextinguible de recherche. L’immensité de la première signera l’absolu de la seconde. En même temps qu’elle en gommera les aspérités les plus sombres : avec les yeux de l’enfant, le « fanatisme » du père devient « pacifique et joyeux ». En mémoire de ce père à jamais disparu, Abdennour sera donc un cherchant. Dans cette quête de sens, l’islam maternel et la philosophie, improbable couple parental de substitution, lui apporteront une aide essentielle. Sa mère incarne cet islam tout intérieur, qui s’appuie sur les prescriptions du rituel pour mieux les dépasser et y puiser une authentique spiritualité. Dialogue incessant qui passe également par une initiation précoce à la lecture. Vient ensuite son professeur de philosophie dont la parole sur l’allégorie platonicienne de la caverne prendra valeur d’oracle. Encore question de lumière mais cette fois-ci, il faut l’aller chercher à l’extérieur. Rien d’étonnant à ce que ses pérégrinations initiatiques amènent l’auteur à croiser le chemin du « sage René Guénon ». Abdennour Bidar lui accorde, sans l’expliciter, une place centrale dans sa pensée: il est vrai que cet adepte du syncrétisme religieux – il fut aussi un Franc-Maçon engagé dans la Tradition primordiale – décida d’épouser la religion du Prophète à la fin de sa vie. Figure hautement suspecte au regard de l’islam radical et intolérant et dont le strict verrouillage est vivement dénoncé par l’auteur.

Néanmoins, qui cherche trouve. Du moins pensait-il que ce serait à Paris. Mais le petit monde intellectuel et rabougri de la Capitale, impitoyable avec ses provinciaux, ne rencontre pas ses espoirs : « ils avaient lu l’Occident, j’avais médité l’Orient ». Dans le combat de Deleuze et de Sartre contre Ibn Arabi et Rumi, la bataille était perdue d’avance. A peine le concours d’entrée à l’Ecole normale réussi, non sans difficulté, il abandonne à son tour. Sa préférence « d’aller chercher un maître spirituel en Orient » l’entraîne avec sa future épouse au sein d’un mouvement qui revêtira rapidement les caractéristiques d’une secte. Le jeune Abdennour n’aura donc rien cédé sur son désir. Au prix d’un effondrement total qui autorise un nouveau départ…à Nice. A l’image de Sophocle, c’est lorsqu’il n’a plus rien été « qu’il est devenu vraiment homme ». Ce livre émouvant qui « porte témoignage » de la construction personnelle d’une identité montre les mille chemins détournés qui permettent d’y accéder. En dépit de son « impossibilité de faire communiquer les mondes » entre lesquels il était partagé, Abdennour découvre in fine l’homme dissimulé derrière le croyant. Une foi devenue humaine. Il peut alors régler ses comptes. En premier lieu avec cet islam intégriste, puis avec ses prosélytes et ses sectateurs dont il aurait pu, à notre époque, être l’un des héritiers par la tradition paternelle. A cet islam « intouchable » qui, « piège grossier », exploite la tolérance de la démocratie, à ces dogmatiques qui voilent les femmes dans une « pathologie collective », l’auteur souhaite opposer un islam des lumières, une religion « bonhomme », selon l’anthropologue Malek Chebel. Impossible selon lui d’y parvenir sans une révolution qui ferait passer le croyant d’une « soumission forcée » à une « obéissance choisie » et qui le mènerait sur la voie de l’ihsan, « l’excellence », l’accomplissement spirituel. Le soufisme n’est plus très loin. Et avec lui, cette élévation dans une solitude que l’auteur doit bien souvent éprouver devant tant d’incompréhension de la part de ses semblables.

S’il emprunte quelques passages à St Augustin, il manque peut-être à la réflexion d’Abdennour Bidar, un passage par le judaïsme. Forme de retour aux sources que le Coran lui-même ne conteste pas : « Puis Nous avons donné à Moïse le Livre complet en récompense pour le bien qu’il avait fait… » (Sourate 6 Al-An’am, v.154). de_l_antisemitisme.jpg

Le Livre constitue justement le coeur de la réflexion particulièrement stimulante et bien à l’image de la collection « climats » (Flammarion) de Stéphane Zagdanski sur « l’antisémitisme ». A mi-chemin entre l’humour juif, forme de résistance aux persécutions selon Joseph Klatzmann (« L’humour juif », Que sais-je ? 3370, PUF) et l’autodérision, Stéphane Zagdanski nous éclaire sur l’une des raisons fondamentales du mécanisme de « l’intolérance historique à l’égard du juif », si tant est que, pour le suivre sur le terrain même du commentaire hébraïque, on soit encore dans le domaine de la raison. La croyance fondamentale du judaïsme, explique-t-il, repose sur une révolution théologique : « L’écriture de la Thora précède la création du monde ». C’est dire la lourde charge inconsciente du mot dont le sens divin préexistait dans la nuit des temps et auquel les 22 « lettres carrées » de l’alphabet hébraïque s’efforcent d’offrir un support terrestre incertain. De là découle l’inaltérable exercice du commentaire rabbinique, qui consiste à s’interroger, à tenter de découvrir l’esprit derrière la lettre dans un jeu récurrent de va-et-vient exégétique. Du « pilpoul », ce « boomerang dialectique » connu qui fait répondre à une question par une autre question au « Mahloket », cette controverse permanente et dynamique, jamais achevée et pour cause, sur l’interprétation à donner aux textes fondamentaux, autant de concepts qui témoignent de cette parole initiale à jamais « perdue » et illustrée par l’omission, dans l’hébreu biblique, de « la trace du présent ». Bien au-delà de l’arbitraire saussurien du signe, du « jeu/je » lacanien entre signifié et signifiant, Zagdanski nous entraîne, avec peut-être le secret espoir de nous y perdre (mais n’est-ce déjà pas de l’antisémitisme, si l’on se pique au jeu de l’auteur, que de le penser et surtout de le craindre ? ), dans une jungle touffue de corpus (les rouleaux de la Torah) et de commentaires midrashiques en cascades. On l’aura compris, « l’antisémitisme selon Zag », pour parler comme un Chrétien, prend en quelque sorte sa source dans l’effroi du vide, le constat de l’impalpable, tous deux consacrés par l’imprononçable et l’ineffable Tétragramme divin « YHWH ». Avec un humour parfois grinçant dont on comprend au fil de la lecture le rapport secret au Judaïsme, Zagdanski décline les supports habituels de l’antisémitisme mais en revient toujours à la transcendance de la lettre qui permet au Juif de s’échapper, de fuir à l’intérieur de sa judéité.

En ces temps de prétendue conférence internationale sur la « Shoah » qui sert de prétexte à la diffusion d’un antisémitisme le plus virulent, l’ouvrage de Stéphane Zagdanski offrirait – presque – de quoi nous rassurer. La « solution finale » a bien été, selon lui, une tentative d’anéantissement en soi de ce questionnement. En ce sens, les attaques plurimillénaires dont les Juifs furent et sont encore l’objet reflètent parfaitement l’insolvable énigme dont ils restent les éternels dépositaires.

Abdennour Bidar, « Self islam », Editions du Seuil, Coll. « non conforme », 2006, 235 p., 12 euros.

Stéphane Zagdanski, « De l’antisémitisme », Editions Climats (Flammarion), 2006, 378 p., 21 euros.

jlvannier@free.fr

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