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28 avril 2024

Une Nouvelle Renversée et renversante pour le salon Polar à Drap

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Certes, il y a plusieurs manières d’écrire. Des romans, des nouvelles, de la bande dessinée et plus, beaucoup plus encore. On peut rédiger seul, à quatre mains, la nuit, dans le hall d’une gare, dans un bureau, sur son bureau, dans son lit, à huit mains, avec ou sans contraintes.


nouvelle-renversee.jpg Et pour des raisons multiples : éviter les repas avec la belle-mère (donner un sens à sa vie), délivrer des messages à la face du monde (messages à connotations révolutionnaires, nihilistes, sociales, d’amour, de paix ou – peut-être les pire– ceux à connotations humanistes), tromper l’ennui (ça rejoint « éviter les repas avec la belle-mère »), etc. La meilleure, en tout cas la plus louable, c’est peut-être de s’y mettre pour appâter une meuf parce qu’on réussit pas à intégrer un groupe de rock. Et la plus folle, c’est celle qui consiste à penser « Écrire pour se faire un peu de blé » (mais ça c’est exceptionnellement rare).

Bref, il va également sans dire que, littératures noires où blanches, les motivations et les sources d’inspirations sont intarissables.
La preuve : que se passe-t-il lorsque 18 auteurs de polar, invités au festival, sont d’accord pour rédiger communément une nouvelle ? Et que cette nouvelle est rédigée à rebours ? C’est-à-dire que le premier auteur a imaginé la fin de l’histoire, et qu’ensuite chaque auteur, ayant à sa connaissance uniquement le paragraphe suivant le sien doit rédiger ce qui s’est passé avant, en respectant un nombre de signes limités.

Et bien, cela donne cette Nouvelle Renversée, sur le thème « Les Territoires du polar » dont nous vous proposons ici de suivre le travail final fait à la manière d’un « work in progress ».

Sans oublier qu’ici le début, c’est la fin.

Fabrice Rinaudo

Tout savoir sur le Salon Polar à Drap : https://www.salon-polar-drap.fr/dotclear/


Illustration J. Ferrandez
Illustration J. Ferrandez
C’était l’hiver. Un vrai hiver de banlieue avec des torrents de flotte qui vous dégringolaient dessus et un putain de vent du nord qui vous gelait instantanément la pluie sur le corps et les larmes sur le visage. Toute la cité ou presque était là et on regardait tous le corps de Kader glisser lentement dans le trou pendant que l’imam débitait ses salades. Les flics aussi étaient là. Tout un bataillon de casques et de matraques qui pataugeait dans le petit carré de boue dévolu aux morts musulmans. Le plus marrant, c’est que ces enfoirés étaient en train de se les geler pour que dalle. Il ne se passerait rien. Je l’avais promis à Rissa. Rissa, la veuve de Kader qu’un méchant crabe achevait de ronger. Rissa, qui m’avait imploré de ne jamais abandonner son fils Moussa.

Patrick Raynal, janvier 2013

L’été arriva et s’éloigna.
L’automne fut noyé sous des torrents de pluie. El Kibir, mon compagnon de cellule, mourut d’un cancer deux semaines avant Noël. Le lendemain, je recevais en main propre de mon avocat les papiers pour ma conditionnelle.
J’eus beau chercher des raisons de me réjouir, je n’en trouvai aucune.
Le jour de ma libération, Moussa s’arrangea pour venir me trouver dans la cour. Les types du bloc D s’écartaient en ricanant sur son passage et me montraient du doigt, comme pour dire :
– Pas de souci, mec. On va bieeen s’occuper de ton pote quand tu ne seras plus là pour veiller sur lui !
Je m’immobilisai contre le grillage du fond, dos au mur d’enceinte, j’allumai deux cigarettes et en tendis une à mon ami.

Marin Ledun, janvier 2013

J’ai cherché pendant une bonne demi-heure un truc intelligent à dire à Moussa. Lui aussi. Mais rien. Je partais, peut-être pour le meilleur – sait-on jamais -, lui restait pour le pire et ça, c’était sûr. Il a fini par sortir une enveloppe de sa poche.
– Tu pourrais porter ça direct à l’intéressée ?
– Ça passe au contrôle ?
– Qu’est-ce que j’en sais ? Je suis jamais sorti…
– C’est qu’une lettre, hein ? Tu m’envoies pas au casse-pipe?
– Hey, faut pas te gourer, mec, le casse-pipe, t’en sors.
– OK. Si t’as pas de nouvelle, dis toi que c’est parce qu’elles sont bonnes…
J’ai gratifié son épaule d’une bourrade et j’ai marché vers la grille.

Ch. Roux, décembre 2012

Le maton a sorti mes maigres affaires de la grosse boîte plastique et a tout déversé, en vrac, légèrement dégoûté, dans mon petit sac de toile.
– Je peux vous donner un conseil ?
– Surtout pas, j’ai répondu.
Ce n’était pas le moment. Pas question de m’encombrer de considérations oiseuses qui me remettraient direct dans le monde pourri que j’allais retrouver.
– Ben, je vous le donne quand même.
– Vous perdez votre temps.
– Peut-être. Changez tout. De A à Z. Oubliez. Barrez-vous. Refaites tout. Reprenez tout à zéro. Autrement.
– Vous êtes un marrant, vous… j’ai couiné.
– On me le dit souvent.

JB Pouy, décembre 2012

Monter chez elle ou pas ? Elle n’a jamais supporté que je quitte mon boulot de comptable pour, flingue à la main, vider des caisses. Comme un blaireau, j’avais commencé par le supermarché qui m’embauchait : une famille bourrée de thunes prête à « émigrer » en Belgique. Je me suis fait choper ; une des caissières avait reconnu mon parfum et ma manière de marcher. 5 ans ferme pour moi et l’évasion fiscale pour mes ex-patrons.
Je frappe. Elle n’ouvre pas. Je pousse la porte. Elle est assise dans son fauteuil. Son regard bleu n’a pas décoloré.
— Tu as faim mon fils ?
Elle se lève et ajoute :
— Tu sais que Olga….

Mouloud Akkouche, décembre 2012

5 ans déjà que je croupissais entre ces quatre murs. Il me tardait de refaire plus des 300 mètres de la cour de promenade, sans me heurter à un mur, presque tout autant que de revoir Olga. Toutefois, ces cinq dernières années auront été constructives pour l’ensemble de mes muscles, du cœur au biceps en passant par les méninges. C’était la deuxième fois que j’empruntais le couloir des matons sauf qu’après l’entrée, je le prenais cette fois en mode sortie. Allez, trois petites signatures, un sac en papier presque vide à récupérer et le déverrouillage du loquet central de la grande porte m’aurait presque donné une érection.
« Ciao Gari et fais pas le con dehors ! » Marcel, le taulier en chef qui venait du même quartier que moi m’avait donné la dernière tape dans le dos et je pouvais m’engager dans la cour principale en direction de la dernière porte qui donnait sur la liberté et sur le boulevard.

Franck Viano, décembre 2012

J’suis passé par la case sortie après Le Breton et Soupe-au-lait. Se retrouver boulevard Arago, sous les marronniers, après 4 ans de trou, ça décolle la pulpe. Surtout que sur le trottoir d’en face, y avait Olga en déshabillé de circonstance. Elle m’a fourré sa langue de façon réglementaire et enchaîné sur le boulot. Elle nous avait dégoté un taf, je sais pas comment mais bref ― secret d’Olga ―, dans un resto de rupins de l’avenue de Ségur. Paraissait que rapport à nos antécédents de spécialistes (pour moi, les sauces, et pour les autres, la charcute et les potages), elle avait convaincu le patron. On a enfilé les tabliers le surlendemain.
J’ai lancé ma valoche à l’arrière du cabriolet.
Elle m’a fait couler un bain aux p’tits ouagnons et a déposé sur le rebord de la baignoire un verre octogonal… ambré.
– Tulibardine, 18 ans.
– Olga… mon amour…

Bordacarre, décembre 2012

Évidemment, on l’avait de suite reconnu, nous autres en cuisine et on lui avait mitonné un petit menu dont il allait se souvenir… Même le dessert était prévu. Olga stationnait dehors toutes cuisses dehors. Le Gros nous avait prévenu qu’il allait fatalement passer par chez nous, le meilleur restaurant du coin. Il nous avait donné sa photo et nous l’avions bien enregistré avant de la brûler. Ce connard devait absolument s’envoler avec son canard dans le ventre… et le virus qu’on venait de saupoudrer dessus. Tant pis, si d’autres en crevaient. Le Gros avait été formel là dessus :
« Nous aussi on a le droit aux dommages collatéraux. »
Personne n’avait moufté… On rigole pas avec Le Gros. De toute façon, cet abruti était filé depuis le début et son guide touristique listant les bonnes tables françaises était son fil à la patte. Inutile de le mettre sous filature ou sur écoute, il laissait sa bave derrière lui de resto en resto. Alors à nous le contrat… L’Auberge Rouge avait fait bonne école et nous autres, tout le personnel, Le Gros nous avait embauché dès notre sortie de prison alors on avait la reconnaissance du ventre.
— Alors !!! Ce cassoulet pour la 24 ?
— C’est parti !

Hafed Benotman décembre 2012

Il s’était fait servir un cassoulet avec du vin de Buzet. Il avait mangé à petites bouchées, les saucisses, les haricots fondants et la cuisse de confit. Les goûts d’enfance sont toujours les bienvenus lorsque quelque chose, dans la vie, ne tourne plus très rond. Il aurait même pu dire que ça tournait carré, avec de violents rebonds, depuis que l’homme au gros ventre et aux moustaches tombantes, avait planté son regard noir dans le sien et l’avait menacé.
« Un jour je te crèverai. »
Il rota et commanda un armagnac qu’il dégusta lentement en regardant une pute russe, très blonde et très maquillée assise sur le capot d’un véhicule. Il vida le fond de son verre d’un coup sec et prit la décision de crever l’abcès. Crève ! Il pianota sur les touches de son téléphone cellulaire pour réserver un billet d’avion et prévenir un contact qu’il connaissait, depuis des lustres, dans la vieille ville de Nice. Il avait déjà descendu plusieurs personnes sans jamais se faire prendre. Une de plus ! Il régla sa note et quitta le restaurant. Il marcha lentement vers la pute qui lui tournait le dos et posa une main sur sa longue cuisse dénudée. Il lui adressa une œillade. Il avait besoin de sexe avant d’envoyer un salaud dans l’autre monde.

Ch. Maria, novembre 2012

Dire que tout s’était tellement bien goupillé. Pour en arriver là. Nom de dieu. Il se revit la veille, à bord de sa voiture de location louée à l’aéroport sous un faux non. L’achat de cartes IGN chez un libraire de la vieille ville. Le choix de l’hôtel dans une des ces zones commerciales qui se ressemblent toutes. Il s’était installé et s’était demandé combien de nuits, au cours de sa vie, il avait dû passer dans de tels endroits. Pas de réceptionniste, seulement une machine à carte avec un code.
Idéal pour les couples adultères et les tueurs en mission. Il avait ensuite récupéré l’arme démontée chez un contact, dans la vieille ville. Sur son lit, il l’avait démontée et remontée. Puis il avait dormi deux heures. Au matin, café au distributeur dans le hall avec trois cachets de speed. Il n’avait plus qu’à se rendre sur les lieux repérés de longue date. Il laissa la bagnole le plus loin possible, progressa dans la garrigue, regarda une dernière fois sa montre, la route en contrebas et il se mit alors dans la position du tireur couché.

Jérôme Leroy, novembre 2012

Il avait tout prévu sauf ce moustique. Un petit, même pas un tigre, un moustique bien de chez nous, un piqueur des garrigues, un cousin de Camargue, un salopard. Piqué à l’auriculaire, alors que son index était déjà sur la détente. Il ajustait son tir sur une bagnole qui passait, juste pour régler la mise au point de sa lunette. Il avait tiré, acte réflexe ; même pas la douleur, elle s’était réveillée après. La lunette devait être très bien réglée, le malheureux touriste n’a dû se rendre compte de rien. Ou de pas grand chose. Une balle dans la tempe, direct. Terminé. Après une embardée, sa Ford Fiesta s’est arrachée tout le côté droit sur une rambarde. Elle a décollé, perdant au passage deux enjoliveurs qui ont joué les ovni très haut dans le ciel, puis a disparu dans la grande bleue après un vol plané pas des plus élégants et deux tonneaux douloureux sur le calcaire aiguisé de la calanque. Le fond est loin, à cet endroit de la côte. Et c’est pas les algues qui ont retenu la berline en perdition et son conducteur à la tête en bouillie. Le vacarme a été de courte durée, le silence est vite retombé après ce plouf un peu ridicule.
En attendant, c’était loupé. Ce n’était pas la bagnole de Don Carlo qui reposait en compagnie des mérous, mais au moins il n’y avait plus aucune trace suspecte de cette bavure idiote. Le tireur se fit une raison : le capo et sa berline de luxe ne devaient plus être très loin.
Son portable vibra dans une poche, une photo s’était affichée : ce putain de chat ! Encore ! Joseph lui envoyait le portrait de son animal chéri, cette insupportable bestiole à la gueule cassée, sans doute pour lui rappeler l’enjeu du contrat.

Philippe Carrese, novembre 2012

Planqué dans la caillasse, le tireur attendait.
Il pensait à ce chat. Le vétérinaire l’avait dit foutu, une chute de six étages, les os en bouillie. Mais, à priori, certaines personnes y tenaient à cette bête. Le véto ne voulait rien savoir, il avait du le convaincre à sa manière. Une torsion du bras et la lame de son couteau sur sa glotte. Finalement, le matou se retrouvait maintenant avec une vingtaine de broches et autant de plaques dans le corps, un vrai petit Wolverine.
Joseph avait encore déconné. Un accident ? Mon cul ! Don Carlo voulait sa peau.
Sa bagnole n’allait pas tarder. Il colla son œil sur la lunette.

Jacques-Olivier Bosco, novembre 2012

Chaleur et sécheresse à l’infini dans le viseur.
Des cailloux, des cailloux, encore des cailloux, et quelques buissons épineux pour dire que la végétation n’avait pas renoncé à tous ses droits dans ce petit coin d’enfer. La piste traversait le lit d’un souvenir de rivière que même les anciens ne savaient plus nommer. Le tireur embusqué commençait à trouver le temps long ; Joseph était en retard.
Pas trop : un gros véhicule apparut bientôt en ligne de mire de son fusil Drapnov Sniperskaïa TRG-49, roulant à vitesse de croisière. Encore quelques mètres et sa cible serait à portée de – le tireur embusqué jura entre ses dents…
Un autre véhicule traçait derrière Joseph.

Jean-Hugues Oppel novembre 2012

— Pu-tain, c’est Lu-na Park ! gueula-ti-l d’une voix que les cahots de la piste hachaient. Il regarda dans le rétro panoramique, s’il n’y avait eu ces affreux qui les pistaient, il se serait bien attardé dans une séquence de cinoche sous les frondaisons bruissantes. Un premier pruneau fit éclater la lunette arrière. Les éclats de verre aspergèrent l’habitacle.
— Ah les enculés !
Chiara retira sa tête de la braguette béante de Joseph et se releva. Le second projectile décora sa nuque d’un coquelicot bien de chez nous.

Max Obione, novembre 2012

Le sifflement aigu de sa respiration s’était éteint et la fille à ses côtés ne bougeait plus. Joseph la secoua par l’épaule sans lâcher le volant. Mais sa tête roula, inerte, contre la vitre, ses cheveux recouvrant son visage. Le 4X4 cala subitement, avant de redémarrer en cahotant sous la pluie. Devant lui, une brèche s’ouvrait dans la jungle guyanaise, un chemin de boue et de terre. Il freina, jetant un coup d’œil au rétroviseur avant de descendre, tandis que la portière claquait derrière lui.

<strong>Naïri Nahapetian</strong>, novembre 2012

Dehors, des insectes de la taille d’un hélicoptère, des mygales immondes et la flotte qui te noyait les os. Dedans, un nid d’épaves, un vivarium d’alcolos, et sublime paradoxe rapport aux tronches des clients, La Jeune Gueule qui coulait à flots, une bière guyanaise dont le goût ferrugineux prouvait qu’ici, on rinçait pas les tuyaux. Joseph s’assit à une table bancale, pensant que son petit frère glissé dans la ceinture de son futal ne serait pas de trop si ça se gâtait. Basta, pas de flip, des deals comme ça, il en avait vécu des pires. Les mecs n’avaient pas le sourire, mais dix minutes, ça lui prit dix minutes et la messe était dite.

Pierre Hanot, novembre 2012

Joseph sortit en trombe du bar avec un sac de toile. Il contenait de la poudre d’or, sa rétribution pour son rôle de GPS avec deux chercheurs d’or en quête de nouveaux terrains. Au début, les orpailleurs avaient fait la sourde oreille pour le payer, puis avaient accepté un rendez-vous dans ce rade et réglé la facture. Joseph galopait, heureux, sur la route menant à la forêt. Un avion tournait dans le ciel. Tout à sa joie, il ne remarqua l’appareil que lorsque celui-ci vira de bord lâchant une rafale qui coucha Joseph au sol. Pour l’éternité.

Claude Mesplède, novembre 2012

L’engin volait très haut, dessinant dans l’azur de gracieuses arabesques de vapeur blanche – contrail, pour les connaisseurs. Et tandis qu’il agonisait sereinement depuis près d’un quart d’heure, Joseph ne put s’empêcher d’imaginer que c’était Dieu qui lui adressait un signe. Peut-être une lettre d’introduction ? Un message de bienvenue ?
Il suivit jusqu’au bout les boucles et les méandres de l’avion, puis il lut le mot ainsi tracé comme à la craie blanche sur le fond bleu.
Et le fin mot de l’histoire était : eohlihnculehrk.
Ce qui ne voulait strictement rien dire, constata Joseph en exhalant son dernier soupir.

Marcus Malte, novembre 2012

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