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10 mai 2024

Emmanuel Juppeaux, photographe et arpenteur du Mercantour

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Emmanuel Juppeaux est photographe indépendant. Muni de son appareil, il a réalisé la Grande Traversée du Mercantour en 16 jours et a parcouru près de 230 kilomètres. Certains de ses clichés seront publiés dans l’édition d’un numéro spécial Mercantour du magazine Terre Sauvage. En novembre, il exposera une vingtaine de photos à la Galerie Lympia du port de Nice. Amoureux de la nature, défenseur de la biodiversité, le chasseur d’images nous raconte son expérience et sa manière d’aborder la photographie.


Comment la photographie s’est-elle imposée à vous ?

Celui que je considère comme mon parrain travaillait à Canal 40, l’organisme de presse de l’époque à Nice. Il y’avait peu de contraintes, et les budgets étaient plus conséquents dans ces années-là. Il était photographe chez eux, et ça m’a ouvert des portes. Les contraintes techniques étaient tout autres que celles d’aujourd’hui, et j’avais accès au matériel que je voulais. La seule chose que j’avais à faire, c’était de prendre des photos et de les tirer ensuite. Ça ne me coutait rien, je pouvais passer un temps fou là-bas. Le jour où Canal 40 a fermé, mon parrain est parti, et je me suis retrouvé un peu orphelin de cette passion. Quand j’ai vu le prix d’une boîte à papier ou d’un agrandisseur, j’ai compris que je n’avais pas les moyens de continuer. J’ai mis tout ça en sourdine, jusqu’au jour où le numérique est arrivé. Beaucoup de photographes crachent sur le numérique parce que la transition avec l’argentique a fait baisser leur activité. Moi je trouve que c’est un bienfait, ça a donné la chance de pouvoir s’exprimer à de nombreuses personnes. Avant, on pouvait parler d’élite, la photographie était réservée à des gens ayant des moyens et des connaissances.

Grâce à ça, la photographie est revenue dans ma vie. Je suis parti en Amérique du Sud et j’étais obligé de m’y rendre avec mon appareil. Progressivement, j’en ai fait mon métier.

Vous aimez la photographie de nature, mais vous avez aussi travaillé pour la presse ?

C’est une histoire de rencontre. Je travaillais dans un magasin de montagne à Nice, je faisais des photos de voyage que « j’exposais ». Quelqu’un a repéré ces photos-là et m’a proposé de faire de la photographie de presse. Je n’y connaissais rien, mais j’ai accepté. Je suis devenu correspondant pour Relaxnews dans le sud, et des magazines comme l’Express, Le Point ou Le Parisien. Quelques temps après on m’a proposé de réaliser le portrait d’une parfumeuse qui avait monté son entreprise. Je ne mettais jamais personne dans mes images à l’époque. Au final ça s’est très bien passé. Voilà comment j’ai commencé, ensuite tout se fait de fil en aiguille.

Ça a dû être difficile de passer de la photographie de voyage à des portraits pour la presse ?

À la base, je faisais des photos de la nature, de paysages, et inévitablement ça a été un challenge de me retrouver à faire des photos de presse. Ce n’était pas mon sujet de prédilection. Par contre, j’aime rencontrer des gens et échanger avec eux, du coup ça s’est fait assez naturellement. C’est même devenu un vrai plaisir. On est dans une période où la photo de presse est en difficulté, avant je travaillais cinq à six fois par semaine contre une à deux fois par mois aujourd’hui. Ça me manque.

Il y a quatre ans, j’ai rencontré une personne qui travaille beaucoup pour le magazine Terre Sauvage en tant qu’auteure. Elle m’a donné la chance de pouvoir collaborer avec eux et de partir dans le Queyras ou dans le Claret. Ça m’a permis de faire converger la trajectoire professionnelle avec la trajectoire personnelle, et mon petit violon qui est la nature.
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Y a-t-il deux postures différentes, entre le fait de rencontrer quelqu’un, de le prendre en photo, et la solitude qui accompagne un projet comme celui de la Grande Traversée du Mercantour ?

J’aime beaucoup l’échange, quel qu’en soit la finalité. En même temps, j’ai besoin de me retrouver seul derrière mon boîtier, paumé dans la nature, et de ne penser à rien d’autre qu’à moi-même, à ce que j’emmagasine. En revanche, je trouve ça très important de partager ces clichés-là. Je reste persuadé qu’il y a de nombreuses choses qu’on ne voit pas, au-delà des grands noms de la photographie, des personnes très douées gardant leurs images pour eux. C’est compréhensible, car montrer demande de l’énergie, et créer une exposition demande de l’argent. Dans mon cas, tous mes bénéfices passent là-dedans.

Je prends l’exemple de cet ours que j’ai photographié. Sa particularité, c’est qu’il a un gène récessif dans son génotype lui donnant un pelage blanc, alors qu’il appartient aux ours noirs. C’est une caractéristique survenant seulement toutes les 10 naissances. Sur les îles de la côte ouest du Canada, il existe 4000 individus n’ayant aucun contact avec les ours du continent. Le gène s’exprime donc de façon plus fréquente. J’ai eu beaucoup de mal à me rendre là-bas pour les voir et les prendre en photo. Quand j’y suis parvenu, j’aurais pu garder ça pour moi, mais j’ai préféré communiquer intelligemment. J’ai montré cette photo dans des festivals, et j’ai pu échanger avec les visiteurs et leur apprendre quelque chose. C’était vraiment un travail de sensibilisation.
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Mais lorsque vous partez pendant 16 jours en pleine nature, qu’est-ce qui change dans la manière d’appréhender l’image ?

En fait, je pars avec mon appareil et je suis tout seul. Seul parce que justement je vais dans le Mercantour, et je le vis depuis la naissance de mon amour pour la montagne. Plusieurs fois je me suis dit que je devrais y rester longtemps pour faire un travail honnête. Même la Grande Traversée n’était pas assez jusqu’au boutiste pour moi. J’avais comme impératif de passer par les refuges, et de réaliser ce tracé tel qu’il est communiqué auprès du public. J’aurais aimé quelque chose d’encore plus sauvage, de plus immersif. Par contre, je voulais vraiment faire ce projet seul, pour avoir le temps de cogiter. Pour la photographie en elle-même, il y a une lumière propre à la montagne qui m’intéresse.
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En regardant vos paysages, on se rend compte qu’il y’a une certaine poésie, et même une mélancolie. La composition a du sens.

Je vais prendre un exemple. Sur une photo, on peut voir des nuages passer et laisser filtrer la lumière du soleil pour dessiner des formes. J’y vois comme une draperie qui descend le long de la montagne, et c’est là que je déclenche l’appareil. Je peux rester deux heures au même endroit pour attendre un moment comme celui-ci. La problématique, c’est qu’on ne commande pas un nuage comme on peut mettre en scène un portrait. Une chose est sûre, j’ai aussi ressenti tout ça en faisant les photos des ours. Un équilibre entre la fragilité et un écosystème relativement préservé. L’ours est à la fois menacé et paisible, et il a une sorte de solitude dans le regard. Il s’en fout de savoir ce que signifie un centre commercial, il a une vie très austère à la manière d’un ermite enfermé au fond de la montagne. Il a des choses communes dans sa façon de ressentir la nature et c’est un sentiment qui m’anime aussi. Voilà pourquoi je peux parfois être très exubérant et parfois rechercher la solitude.

Que retenez-vous de ce périple dans le Mercantour ?

C’est un territoire qui paraît immense quand tu regardes les chiffres, et tu peux le traverser en une journée avec une voiture. Ça représente un confetti quand tu sais où le Parc est situé, au milieu d’un espace grignoté de toutes parts. Ce qu’il en reste, tu te dis : «c’est pas grand-chose finalement», et c’est ce qui fait toute sa fragilité et sa beauté. La question se pose de savoir si ce n’est pas devenu un zoo sans barrières, ou si c’est un réel lieu de préservation qui ne disparaitra pas. Je n’ai pas pu répondre à cette question, mais j’ai trouvé une vraie richesse.

Mais l’ultra sauvage que j’ai pu observer en Colombie-Britannique par exemple, on ne le retrouve pas dans le Mercantour, on sent bien qu’il s’agit d’une langue de terre entourée par les assauts de la civilisation qui sont francs et massifs de part et d’autre. Je ne parle pas d’Isola qui est une incursion complètement délirante dans un milieu comme celui-ci, au cœur même du Parc. C’est la seule station qui s’est créée, à coup de piston et de lobbying politique. Oui c’est une zone fragile, et le mot ne suffit pas.

Mon point de départ, c’était de me demander ce qu’il y avait encore de sauvage dans le Mercantour. Je voulais montrer le mystérieux, et ne pas faire de cette traversée une carte postale. Le Mercantour se retrouve confronté à un désamour du public de façon générale, car la zone d’adhésion crée des barrières et une impossibilité de faire des choses. On est en train de comprendre que le répressif ne fonctionne pas éternellement et qu’il ne faut pas tout interdire. La réglementation doit permettre de préserver ce milieu, mais il ne faut pas créer un repli sur soi et préférer la discussion avec les gens qui vivent là. Sinon, on finit par avoir des zones intégrales ou personne ne peut mettre un pied.

Cette Grande Traversée est un outil de communication, et je ne pouvais pas faire exactement ce que je voulais. J’ai essayé de traiter le sujet d’une manière un peu différente, et l’exposition montrera des photos plus tourmentées, un nuage, un voile ou une ombre. J’aimerais que les gens puissent voir ce petit côté mystérieux quand on parle de sauvage, ce sauvage qui pourrait faire peur.
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Quel rôle peut avoir l’image comme langage pour sensibiliser sur ce milieu naturel ?

Le Parc du Mercantour a un vrai rôle d’éducation à jouer, et communiquer par l’image c’est très important. Nous ne sommes plus dans l’ère du texte, malheureusement. Si une image n’accompagne pas les mots, personne ne voit le message. Si tu accroches un visuel, les gens vont lire le texte percutant. C’est génial que le Parc organise des expositions et qu’un film soit réalisé à l’occasion des 40 ans.

La porte d’entrée, aujourd’hui, c’est l’image. Quand on voit le succès d’une application comme Instagram, ou d’autres plateformes, on laisse forcément une partie de la population sur le bord de la route. On a été éduqué comme ça, ce n’est pas le texte qui incite à acheter un produit, mais la photo du produit, avec parfois beaucoup de mise en scène. On pourrait éduquer les plus jeunes à une écriture plus qualitative, plus poétique, sans forcément faire disparaitre l’image. Toutes les ouvertures sont alors possibles.

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