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25 avril 2024

L’Edito du Psy – Apéros géants: l’anonymat contre le cadre

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jpg_bobine2008-89.jpgPlus la ficelle est grosse, moins on la voit. Dans le phénomène désormais connu sous le vocable « apéros géants », l’attention se concentre sur ce rassemblement informel de jeunes qui s’enivrent. Et sur le drame qui parfois le prolonge. Le symptôme est pourtant aussi massif que la manifestation. On peut certes comprendre le souci des pouvoirs publics de lutter contre le « binge drinking », cet alcoolisme à outrance pratiqué par les adolescents. On ne peut s’empêcher, en y réfléchissant un peu, de constater, si l’on ose dire, la cohérence psychique des différents épisodes qui sous tendent l’organisation et le déroulement de ce vrai faux happening: échapper au cadre, exploiter les ressources de la virtualité offerte par la Toile, se jouer de la tutelle administrative, retrouver et maintenir un anonymat au regard des autres, disparaître soi-même dans la foule et célébrer finalement la réussite de la démarche.

Echapper au cadre. Les préfectures s’efforcent désespérément d’identifier un interlocuteur, de désigner un responsable. Tout est là. Le but même des « apéros géants » vise tout le contraire: l’évanescence, la fluidité et l’invisibilité. Personne ne doit apparaître. Un subtil jeu de cache-cache se développe: l’intangibilité structurelle de l’administration contre l’insaisissable incognito des réseaux sociaux. Interrogé par France Infos, un directeur de cabinet de Préfet s’en irritait : « une manifestation sur la voie publique, rappelait-il, est interdite lorsqu’elle n’est pas autorisée: les responsables doivent remplir des imprimés, apporter des documents ». Bureaux contre virtualité. La remise en cause du « cadre » en dit long sur l’état d’esprit de l’événement: défier l’emprise tutélaire de l’administration. Une réponse en forme de clin d’oeil, peut-être, à son propre anonymat.

Qu’on les approuve ou non, il y a dans ces modes d’action une forme de « résistance » à la désignation. On pense à ses bancs compacts de petits poissons, impossibles à distinguer les uns des autres, stratégie de survie destinée à confondre le prédateur: ce dernier fonce dans la masse informe qui se scinde, esquive et se redessine aussitôt après le passage de l’intrus.

Le lieu annoncé acquiert la sacralité d’un temple improvisé: sanctionnant la fin du jeu de piste, la libation collective intervient en plein air, gage d’une sauvegarde de l’harmonie avec le cosmos, symbolique digne d’une « voûte étoilée » en loge ou des cabanes aux toits ajourés des fêtes juives de Soukkot. Festif, « l’apéro » remplace le « dîner assis », conventionnel, formaliste, onéreux. Son déroulement doit conserver cette souplesse mouvante dans un espace lui-même non clos. Ça va, ça vient. Comme si le moindre statisme, la moindre fixité se révélait intolérable. Bouger et se noyer dans la foule. Inutile d’insister sur la fragilité narcissique du scénario.

L’hyperalcoolisation achève cette inexorable désintégration du moi, carcan « haïssable » selon Pascal. Hors cadre à l’extérieur, sans limite à l’intérieur: il faut prestement faire disparaître les impitoyables censeurs de la morale et de l’éducation. Et avec eux, les terribles souffrances dont on leur impute -à tort ou à raison- la responsabilité. La recherche des effets désinhibiteurs de la boisson s’opère en groupe: une conscience collective se déconstruit pour laisser advenir, atomisée et neutre, une sorte d’individualité: la plus enfouie, la plus absolue. La plus tragique sans doute, la plus précieuse sûrement.

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