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2 mai 2024

Dialogues des Carmélites: le moi s’abolit à l’Opéra de Nice

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jpg_dialo2.jpg« Vingt-quatre heures de doute moins une minute d’espérance » écrivait Georges Bernanos à propos de la foi chrétienne. Lorsque la Scala de Milan demande en 1953 à Francis Poulenc -un an après la création à Paris des Dialogues des Carmélites, la pièce écrite par Georges Bernanos », de composer un opéra, le compositeur y voit un signe: « le ciel a mis sur mon chemin le sujet de mes rêves ». De sa présentation en 1957 à Milan à la Première de l’Opéra de Nice jeudi 7 octobre dans une production De Nederlandse Opera, l’oeuvre n’a pas pris une ride. L’établissement lyrique niçois, il est vrai, n’a pas lésiné sur les noms: la magistrale direction musicale de Michel Plasson réussit avec l’Orchestre philharmonique et les Choeurs de l’Opéra de Nice, une lecture méticuleuse des trois actes « parlando » du livret sans jamais attenter au déploiement de leur intensité dramatique. La mise en scène soignée de Robert Carsen restitue l’opposition radicale entre la verticalité ascendante de l’élévation spirituelle et le désordre latéral des mouvements de la foule révolutionnaire. Un savant fondu-enchaîné manoeuvre ingénieusement les seconds pour modifier les décors épurés de Michaël Levine en évitant les ruptures de rythme dans le défilé successif des douze tableaux. Les jeux de lumière signés Jean Kalman et réalisés par Jurgen Kolb y participent pleinement.

La Prieure (Sylvie Brunet) et Blanche de la Force (Karen Vourc'h)
La Prieure (Sylvie Brunet) et Blanche de la Force (Karen Vourc’h)
Dans le rôle de Blanche de la Force, la soprano Karen Vourc’h ne quitte jamais un registre vocal qui sait exprimer, dans la durée, une inextinguible puissance intérieure toujours empreinte de retenue dans les paroles aiguës. En témoignent ses différents duos : celui où elle réprimande l’enfantillage orgueilleux de Soeur Constance (Hélène Guilmette) ou celui de ses adieux bouleversés avec son frère, le chevalier de la Force (Frédéric Antoun). Dans son interprétation sanglée de l’intransigeante Mère Marie de l’Incarnation, la mezzo Sophie Koch -déclarée souffrance avant le lever de rideau- donne presque le sentiment de regretter cette forme de limitation, au risque de confondre froideur imposée par le rôle et neutralité vocale. Transcendée par sa foi, la performance de la Prieure des deux derniers actes (June Anderson) convainc également. Le public a toutefois réservé une ovation particulière au tour de force scénique et phonique de la mezzo Sylvie Brunet, la première Prieure dont la terrible agonie la conduit à hurler son ultime « peur de la mort ».

Blanche de la Force (Karen Vourc'h) et Soeur Constance de Saint Denis (Hélène Guilmette)
Blanche de la Force (Karen Vourc’h) et Soeur Constance de Saint Denis (Hélène Guilmette)
Cette disparition tourmentée qui signe la fin de l’acte I représente également un tournant majeur scandé par l’entracte: longues scènes d’exposition, des passages de la première partie ont pu susciter chez certains un léger ennui. Réaction qui provient moins de la musique que de la nature humaine: passée la nécessaire accoutumance à la déclamation syllabique, le public résiste encore à l’idée d’entrer dans le drame mystique en acceptant d’abolir son « moi ». Les quatre premiers tableaux préparent en effet l’entendement à suivre Soeur Blanche de l’Agonie du Christ dans l’accomplissement de son tragique destin. « Etre détachée de son propre détachement » lui ordonne la Prieure Madame de Croissy, au moment de son entrée au Carmel. C’est Jeanne Guyon s’inspirant de « l’abîme-Dieu » de Maître Eckart ou le renoncement apaisé de la philosophe Simone Weil.

jpg_dialo4ok.jpgSubtilement chorégraphiée (Philippe Giraudeau) pour atteindre un rare paroxysme dramaturgique, la scène finale, où les voix s’éteignent au bruit métallique et glaçant d’une lame de guillotine, fait apparaître Soeur Blanche qui, grâce paulienne après la défaillance, rejoint le cortège des condamnées à l’échafaud dans un absolu de volonté. Cette figure rappelle celle, évoquée par la psychanalyste Catherine Millot, d’« Etty Hillesum voyant passer en août 1942 Edith Stein et sa soeur portant l’étoile jaune sur leur robe de carmélite » avant d’aller par un mystérieux « consentement » intérieur les rejoindre dans la mort à Auschwitz le 30 novembre 1943 (La vie parfaite, Coll. « L’infini », NRF Gallimard, 2006). « Vingt-quatre heures de doute moins une minute d’espérance ». A l’opéra de Nice, ces Dialogues des Carmélites offrent deux heures trente d’éternité.

Photos: D. Jaussein

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