Retrouver le Festival, c’est chaque année apprivoiser à nouveau l’immense Palais, l’architecture métallique à la Henki Bilal du Grand Amphithéâtre, les places un peu oubliées tout en haut de la salle (nos préférées), les couloirs secrets, la rotonde lumineuse du bar… Le « Bunker » est un monstre, mais un monstre familier et bienveillant.
THE DEAD DON’T DIE (Jim Jarmush / USA)
Quand, comme l’avait fait Stanley Kubrik avec son mythique Shining , un grand réalisateur décide de tourner un film de genre, le petit monde de la cinéphile est très impatient de voir le résultat. Eh bien avec le «film de zombies » de Jarmush, il ne sera pas déçu : c’est une réussite magistrale.
Le réalisateur joue pleinement le jeu avec des morts-vivants terrifiants (mais un poil bavards, ce sera sa touche personnelle !), des entrailles bien sanguinolentes, des victimes pittoresques et un chouia stupides, sans oublier le petit message écolo de la planète qu’on bousille et qui se venge.
Mais au-delà de cet exercice de style, Jarmush sait prendre de la distance pour nous délivrer un message perso : et si la vie moderne (avec par exemple notre addiction au téléphone portable) faisait déjà de nous des zombies ? un message pirendélien par la forme car ses personnages n’hésitent pas à l’interpeller directement pour évoquer la fin de l’histoire.
Et comme l’affirme la bande annonce, le casting est vraiment propre « à réveiller les morts » avec une mention particulière pour le trio de policiers ahuris censés défendre la ville contre les envahisseurs : Bill Murray, Adam Driver et Chloé Sévigny (une de mes actrices préférées), l’extraterrestre mi-Kill Bill , mi- Six feet under, Tilda Swinton, et Tom Waits en ermite ayant le mot de la fin : « Quel monde de merde ! »
BACURAU (Kleber Mendonça-Juliano Dornelles / Brésil).
Bacurau est un petit village du Sertao au nord-est du Brésil. Sous la coupe d’un politicien corrompu, les habitants doivent affronter des conditions de vie très dures aggravées par un manque d’eau provoqué par leurs ennemis.
De mèche avec le Préfet de la Région, une bande de suprémacistes américains décime la population par jeu avec de lourdes armes de guerre et un drôle de drone en forme de soucoupe volante.
Dans ce village d’Asterix tragique, les habitants ont une petite potion magique sous la forme d’une pilule locale qui leur donne du courage. Aussi ils ne vont pas se laisser faire et transformer un massacre programmé en western jouissif.
Le film est censé se passer dans un futur proche mais il est aussi une métaphore très contemporaine de l’alliance Bolsonaro-Trump sur le dos des brésiliens.
LES MISÉRABLES (Ladj Ly /France )
À Monfermeil dans le 93, trois policiers de la BAC aux personnalités différentes sont
confrontés aux tensions entre les différents groupes d’un quartier sensible. Obligés de composer avec les trafiquants, les barbus et les médiateurs louches de la mairie, ils remplissent leur mission tant bien que mal dans ce quartier à la périphérie duquel ils habitent.
Un jour, ils sont débordés au cours d’une interpellation et l’un d’entre eux provoque une bavure. Or un drone (encore un !) a filmé leurs moindres faits et gestes.
Le film a presque un aspect documentaire boosté par l’actualité. Très équilibré dans la recherche des causes de cette violence urbaine, il illustre parfaitement la phrase de Victor Hugo qui explique à peu près à la fin du film «qu’il n’y a pas de mauvaises plantes mais des jardins mal cultivés ».
Une amie nous a affirmé que la Commission d’avance sur recette n’avait pas aimé le script car il n’y avait pas de femmes : heureusement que comme le ridicule, le politiquement correct ne tue pas…!
ATLANTIQUE (Mati Diop/ Sénégal )
A Dakar, les ouvriers du chantier d’une tour futuriste ne sont plus payés
depuis trois mois par un patron défaillant qui refuse même de les
rencontrer. Désespérés, ils décident de quitter le pays par l’océan pour un
avenir meilleur.
Un de leur, Souleymane, est l’amoureux d’Ada promise à un homme riche par sa famille. Leur disparition étant plus ou moins acquise, Ada – qui entretemps a renoncé à son mari – et ses amies s’aidant de pratiques et de sortilèges traditionnels organisent une terrible vengeance.
L’histoire d’amour est très belle et la critique sociale efficace. Par contre la
partie fantastique du film est à la fois naïve et complexe à suivre mais on
ne pourra pas reprocher à cette jeune réalisatrice de ne pas avoir
d’ambition. À suivre.
SORRY WE MISSED YOU (Ken Loach/ Grande-Bretagne).
Un Uber-patron propose à Ricky ouvrier de Newcastle un marché de dupe :
il devient chauffeur-livreur soit disant indépendant tout en étant tenu par
un contrat de franchise qui le livre pieds et poings liés à un chef
d’entreprise sans scrupule.
Sa femme Aby qui fait de l’aide à domicile pour personnes âgées est obligée de vendre sa voiture pour financer le camion que son mari doit acheter à crédit. A partir de là, Ricky va s’épuiser pour rentabiliser son activité, Abby n’aura plus une minute à elle pour s’occuper des enfants dont l’aîné va sombrer dans la délinquance.
Du Ken Loach (déjà deux Palmes d’Or) pur jus ! La dénonciation des nouvelles turpitudes du capitalisme est lumineuse et l’histoire de cette famille arracherait des larmes à un trader de la City. Toutefois l’accumulation des malheurs tombant sur les épaules de ce pauvre Ricky fait peut-être perdre un peu d’efficacité à l’histoire qui n’a pas la fluidité de précédents films de Loach où le drame social était entrecoupé de parenthèses plus légères et parfois même de moments de grâce.