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24 avril 2024

« La Rochefoucauld » : quand plaisir de l’amour rime avec philosophie de la vie.

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la_rochefoucauld-2.jpg « La Grande Mademoiselle aurait souhaité épouser son cousin Louis XIV mais depuis qu’elle a tiré sur lui au canon, il manque d’enthousiasme ». Merveilleuse époque que celle du Duc de La Rochefoucauld ! Surtout lorsqu’elle est si bien contée par un historien de la trempe de Georges Minois. En ces temps d’une histoire de France fort troublée, où les nobles frondeurs s’adonnent à la guerre contre le pouvoir royal comme ils vont à la chasse, autant par ennui que par distraction, naît le premier fils d’une illustre famille. Même s’il prend part à quelques épisodes fameux de la Fronde, le Prince de Marcillac et Duc de La Rochefoucauld demeure toute sa vie, nous dit l’auteur, davantage un « observateur et spectateur ». Il ne rechigne certes jamais à se battre mais ses actions semblent toujours empreintes d’une certaine retenue. Suffisamment en tout cas pour faire dire à son ennemi le Cardinal de Retz qu’il y avait chez lui un « je-ne-sais-quoi », une « irrésolution habituelle », fruit probable de cette éducation aristocratique et de l’air du temps. « N’oublions pas, nous rappelle le biographe, que la mélancolie est la maladie à la mode dans la première moitié du XVIIème siècle »

La Rochefoucauld baigne dès son adolescence dans l’intrigue et le complot. Il y a de quoi. Tout d’abord, le jeune Louis XIII, déshabillé, traîné et enfermé de force dans la chambre de la reine pour obtenir d’Anne d’Autriche un héritier qui sauverait la couronne des mains, plutôt baladeuses dans les rangs de la soldatesque, de Gaston d’Orléans. Ensuite, les multiples et sombres machinations ourdies par Richelieu afin de préserver sa royale influence, mais lui-même la cible de nombreuses conspirations manigancées par les princes, de Condé, de Rohan et de Vendôme. Le tout savamment orchestré au final par une ronde infernale de femmes aussi séductrices qu’ambitieuses. On comprend que le Duc puisse, sur ses vieux jours, estimer que « les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes » !

Après la Fronde dont l’échec le condamne à demeurer quelque temps sur ses terres de l’Angoumois, intervient l’épisode de Port-Royal, avec, dans l’intervalle, la querelle des « Importants ». Cette ponctuation soutenue d’événements ne saurait toutefois tarir sa soif de conquêtes féminines. Quoique marié et père de famille, en dépit de ses amitiés au sein du parti dévot, notre héros butine. Allègrement. Il fait la cour à la duchesse de Chevreuse, totalement acquise aux causes, parfois opposées, de ses divers amants et dont il est fort heureux politiquement, pense-t-on à l’époque, qu’elle « en eut beaucoup à la suite mais qu’un seul à la fois ». Il entame avec la duchesse de Longueville une liaison qui, selon l’historien, « laissera des traces profondes dans son esprit ». Les conséquences ne furent pas seulement spirituelles puisqu’elle donna au Duc un fils naturel dont il pleura beaucoup la mort. Il fréquente les salons de l’Hôtel de Rambouillet, ceux de l’Hôtel de Condé et du domaine de Chantilly, y rencontre la sulfureuse Ninon de Lenclos « dans le lit de laquelle défile le tout-Paris ». Il noue une « affection ambiguë » avec Mme de Lafayette dont le roman à succès « la Princesse de Clèves » constituerait, selon Georges Minois, une « illustration de ses Maximes ». Il s’éprend encore d’une vive amitié avec la Marquise de Sablé dont la finesse psychologique servira autant à la rédaction des Maximes que les recettes et pots de confitures dont elle gratifiera, sur son retour d’âge, leur auteur. La goutte dont il souffrira dans sa vieillesse ne l’empêchera nullement de faire sa cour à la fille de la marquise de Sévigné avec la complicité bienveillante et attendrie de la mère. Question d’époque.

Avec beaucoup d’années et un peu moins de remords, toutes ces dames deviennent vertueuses et se réfugient dans la dévotion, voire dans les couvents. Passée l’action de terrain, le Duc de La Rochefoucauld, de son côté, s’initie à l’écriture. Avec suffisamment de modestie pour refuser l’Académie mais assez de talent pour susciter l’admiration de la Reine Christine de Suède. Au-delà des petites histoires, extraordinairement bien documentées, et qui font également la Grande, le vrai mérite du travail de Georges Minois consiste également à donner, si l’ose dire, de la chair intellectuelle à l’ensemble d’un ouvrage déjà bien replet. Aborde-t-on le « quart d’heure » janséniste et l’agrégé d’histoire injecte toutes les précisions utiles pour comprendre la naissance et la vie de ce mouvement politico-religieux sans jamais altérer le rythme et le pittoresque du récit. Evoque-t-on le temps des Maximes et le biographe restitue progressivement la genèse complexe de l’œuvre, entre inspiration libertine et influence janséniste, sans la séparer de la vie quotidienne de son auteur. Il l’éclaire intelligemment en veillant à ne pas l’éblouir de moult références philosophiques : Sénèque pour l’y opposer, Epicure pour la comprendre et Gassendi pour la rapprocher, maîtrisant avec aisance son sujet pour s’autoriser quelques réflexions personnelles sur les illusions toutes pascaliennes du « moi ». La clairvoyance sidérante de l’être humain contenue dans les Maximes tranche à ce titre avec le caractère « schématique » des Mémoires, écrits environ à la même période. « Les Mémoires étudient les arbres et les Maximes, la forêt », nous dit l’historien.

Au moment de son agonie, le Duc de La Rochefoucauld « semble prendre ses distances à l’égard de sa propre mort ». En ce sens, conclut Georges Minois, il reste fidèle à lui-même, à sa « tactique d’esquive » qui rejoint sa posture de condescendance toute nobiliaire. L’idée de cette mort, approchée au cours d’une de ses fanfaronnades militaires, l’obsèdera tout de même au point de lui consacrer une de ses toutes premières réflexions. Laquelle vaut largement une épitaphe : « le soleil comme la mort ne peuvent se regarder fixement ».

Georges Minois, « La Rochefoucauld », Editions Tallandier, 2007, 488 p., 25 euros.

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