À moins d’un an des municipales 2026, le climat politique niçois est marqué par les affaires judiciaires. Christian Estrosi et Éric Ciotti, se livrent à une guerre de déclarations et de procédures. Pendant ce temps, l’union des gauches tente de faire émerger un autre débat, centré sur le logement et les services publics.
L’été 2025 avait commencé sous tension pour la majorité municipale. Le 30 juin, Christian Estrosi, maire de Nice et membre du parti Horizons, son épouse Laura Tenoudji et Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, avaient été placés en garde à vue à Nice puis à Marseille. Ils étaient entendus dans le cadre d’une enquête pour détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et faux en écriture publique. Ces procédures concernaient l’organisation de deux événements : l’Eurovision Junior et le Nice Climate Summit, tous deux organisés à l’automne 2023.
La garde à vue avait été levée quelques heures plus tard. Personne n’a été poursuivi à ce stade. Me Mathias Chichportich, avocat de Christian Estrosi, avait déclaré : « à l’issue des réponses que Christian Estrosi a apportées, il a été décidé de lever la mesure sans lui notifier la moindre poursuite. » L’avocat avait dénoncé une instrumentalisation politique et annoncé une plainte pour dénonciation calomnieuse.
Mais à peine cette affaire retombée, une autre secouait le paysage politique local. Le député Éric Ciotti est visé par une enquête pour fichage illégal. Selon un lanceur d’alerte, des fichiers recensant plusieurs centaines de Niçois « influents » ont été constitués par des proches du député. Ces documents contiendraient des données sensibles : religion, origine, situation de handicap ou patrimoine.
Le parquet de Nice a ouvert une enquête préliminaire en mai dernier. Le 12 août, plusieurs perquisitions ont été menées, notamment pour saisir du matériel informatique. Le procureur Damien Martinelli a confirmé que l’enquête portait sur l’enregistrement ou la conservation de données personnelles sensibles sans consentement.
La révélation de cette affaire a donné lieu à un échange musclé entre les deux élus. Le 14 août, Christian Estrosi a pris la parole sur BFMTV. Il a dénoncé un « fichage illégal » destiné à préparer les élections municipales. Quelques heures plus tard, Éric Ciotti a répliqué sur X. « Les propos calomnieux, grotesques et contraires à toute vérité tenus par Christian Estrosi ce soir sur BFMTV à propos de prétendus “fichages” sont d’une extrême gravité et relèvent d’une grossière manipulation », a-t-il écrit. Le député a annoncé déposer plainte pour diffamation contre le maire de Nice et les médias qui avaient relayé ses propos.
L’un de ses alliés, Bernard Chaix, député UDR, a soutenu cette ligne de défense. Il a rappelé sur son compte X les « 18 affaires judiciaires » et les « 30 millions d’euros engloutis pour un Grand Prix de F1 » reprochés au maire. Selon lui, l’affaire du fichage est « bidon. »
Des polémiques sur les moyens publics
À ces tensions judiciaires s’ajoute une polémique sur l’utilisation de l’argent public révélée par Le Figaro. Des imprimés distribués par les deux camps sont accusés de constituer une propagande électorale financée par les contribuables.
Les proches de Christian Estrosi dénoncent un journal de quatre pages publié par Éric Ciotti en juillet. Selon Gaël Nofri, adjoint au maire, il s’agissait d’un « détournement de moyens publics. » Le vice-président de la Métropole avait saisi le bureau de l’Assemblée nationale.
En retour, l’équipe d’Éric Ciotti s’attaque aux livrets municipaux diffusés par la mairie. Ces documents de 50 pages défendent le bilan du maire. La députée UDR Christelle d’Intorni estime qu’ils représentent « des centaines de milliers d’euros d’argent public dépensés pour diffuser le livret-bilan du candidat-maire. »
L’opposition écologiste locale s’est également emparée du dossier. Jean-Christophe Picard, élu écologiste, a saisi la préfecture pour signaler un manquement au droit d’expression des groupes d’opposition. Selon lui, ces publications sont « une propagande préélectorale destinée à convaincre les Niçois. »
La municipalité avait nié ces accusations. Elle explique que ces fascicules sont réalisés en régie et distribués lors de réunions de quartier organisées depuis deux ans.
Les débats d’idées au point mort
Depuis plusieurs mois, la vie politique niçoise semble dominée par les procédures, les accusations et les ripostes. Les deux anciens amis désormais féroces rivaux multiplient les passes d’armes, mais les débats sur les enjeux de fond restent limités.
Christian Estrosi, maire depuis 2008 (avec une année d’interruption N.D.L.R), prépare déjà sa réélection. Depuis cette annonce il a organisé plusieurs réunions publiques dans lesquels il défend son bilan mais prépare également l’avenir notamment de certains quartiers de Nice.
Éric Ciotti, de son côté, n’a pas encore officialisé sa candidature. Mais tout laisse penser qu’il franchira le pas à la rentrée. Il critique la gestion financière de la ville et de la métropole. Il met aussi depuis plusieurs années en avant les questions de sécurité.
Dans ce contexte, une question s’impose : où est le débat d’idées ?
L’union des gauches tente une percée
Alors que la droite s’enlise dans les affaires, la gauche tente d’occuper le terrain. Le 21 avril, socialistes, communistes et écologistes ont annoncé leur union en vue des municipales de 2026. Une alliance inédite dans une ville marquée par 80 ans de domination de la droite.
Patrick Allemand, chef de file socialiste, a tenu à préciser : « ce n’est pas parce que les deux s’affrontent que l’on s’allie. » Selon lui, le travail commun répond à un projet plus large.
LFI reste en retrait, refusant d’intégrer cette alliance, notamment par solidarité avec le collectif ViVA! qui en est exclu. Julien Picot, secrétaire départemental du PCF, laisse cependant « la porte ouverte » à un rapprochement.
Sur le fond, les priorités avancées concernent le logement et les transports. L’union des gauches veut limiter l’expansion des locations touristiques de type Airbnb, développer le logement social et instaurer la gratuité des transports publics. « Nice doit redevenir une ville pour ses habitants, pas seulement pour les touristes », a déclaré l’écologiste Sandra Benjamin.
Une campagne qui bascule ?
Depuis le printemps, plusieurs rencontres publiques réunissent associations, collectifs et citoyens engagés. Le logement apparaît comme un thème central. Le taux de résidences principales est inférieur à la moyenne nationale. Le logement social reste insuffisant. Les loyers continuent d’augmenter.
Pour les participants, cette situation résulte de choix politiques : développement du tourisme, promotion immobilière de luxe, spéculation foncière. Ils estiment que la politique municipale a transformé la ville au détriment de ses habitants.
Le 21 juin, plus d’une centaine de personnes ont participé à une nouvelle rencontre organisée par l’appel « Nice 2026 ». Les thèmes abordés étaient la pauvreté, la pollution et le surtourisme. L’objectif affiché est de bâtir une alternative face aux candidatures Estrosi et Ciotti.
« Il ne suffit pas de constater les impasses de la gestion Estrosi. Il ne suffit pas de dénoncer les menaces que représentent Ciotti ou Vardon pour Nice, pour ses habitants et pour la démocratie », ont résumé les organisateurs. Leur ambition est de proposer un projet fondé sur la justice sociale, l’écologie, la démocratie locale et la solidarité.
Vers une élection incertaine ?
À l’approche de 2026, la campagne niçoise s’annonce tendue. Christian Estrosi et Éric Ciotti, longtemps alliés, s’affrontent désormais ouvertement. Leurs démêlés judiciaires fragilisent leur image et nourrissent les critiques.
La gauche, en ordre partiel mais réel, espère profiter de cette division. Elle mise sur un programme social et écologique pour séduire un électorat lassé des querelles personnelles.
La bataille ne fait que commencer. Mais déjà, une impression domine : les Niçois attendent un débat d’idées, pas seulement une succession de polémiques et de procédures.