

L’enjeu est solennellement inscrit : la « disparition », voire le simple « affaiblissement des chrétiens d’orient » serait « une perte pour l’Eglise universelle ». On pense inévitablement au Liban, seul pays reconnaît le document, où les « chrétiens ne sont pas une minorité ». On relèvera d’ailleurs que cette dixième « Lettre pastorale sur le chrétien arabe face aux défis contemporains » a été signée par le Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient à Bkerké, siège, symbolique à plus d’un titre, de l’Eglise maronite au pays du Cèdre. Son chef, Nasrallah Sfeir, n’a d’ailleurs jamais accepté de se plier au traditionnel voyage d’allégeance à Damas. Ni pendant l’occupation syrienne du Liban, encore moins après.
L’oscillation permanente de ce document de travail entre le domaine de la foi et le registre politique, le premier donnant souvent le sentiment de servir d’habillage décent au second, illustre la prudence avec laquelle le Vatican souhaite aborder le sort de ses fidèles dans cette région sensible du monde. Il n’en représente pas moins un saut qualitatif -un franchissement du Rubicon qui séparait autrefois Dieu et César- et qui confirme la philosophie générale contenue dans le discours du Saint-Père prononcé à Ratisbonne. A ce titre, la brève mention de « l’occupation israélienne des territoires palestiniens » de même que l’évocation des relations avec les autres religions, orthodoxe ou protestante, ne doivent pas faire illusion : le « souci » exprimé dès l’introduction de ces « Lineamenta » concerne plus nettement les « groupes fondamentalistes islamiques ».
L’habilité de la démarche consiste toutefois à s’abriter derrière l’intelligence des situations et de terrain. Des avis qui seront plus difficilement réfutables que s’ils émanaient exclusivement du Souverain Pontife : puisqu’elles s’appuieront sur les réalités vécues par les fidèles -des chrétiens souvent considérés, lorsqu’ils ne sont pas persécutés, comme des citoyens de seconde classe dans les pays où règne la « Charia », les conclusions des travaux synodaux en octobre prochain ne manqueront probablement pas d’accentuer le propos et de laisser entendre des expressions moins convenues. Un assidu de la Curie le confirme : « c’est toujours comme cela que les choses se passent ».
Parallèlement aux réflexions sur l’intégration de la modernité, ce texte interroge le système du confessionnalisme dans lequel « la religion est un élément d’identification qui peut séparer de l’autre ». Un thème brûlant d’actualité puisqu’au même moment, le président du Parlement libanais, le chiite Nabih Berry, met à l’ordre du jour la « déconfessionalisation » du pays, initiative critiquée par les cercles chrétiens comme une tentative de contrer en terme d’opinion publique, l’omniprésence des armes du Hezbollah. L’appel spirituel de ces « Lineamenta » à « répondre au mal par le bien » et à « aimer son ennemi » sera-t-il entendu ?