Christian Estrosi a dévoilé fin septembre dernier, un nouveau projet pour la Gare du Sud, affirmant qu’elle deviendra dès 2026 un vaste complexe culturel pluridisciplinaire. Cette annonce ramène la Gare du Sud au cœur du débat. Comment ce lieu emblématique a-t-il traversé vingt ans de plans successifs avortés, de critiques de gestion et de pertes financières ?
Quand, en septembre 2025, Christian Estrosi a annoncé que la ville allait racheter le bail de la Gare du Sud pour en faire un « centre culturel pluridisciplinaire », il ne s’agissait pas simplement d’un virage parmi d’autres, mais d’un pari politique à quelques mois des prochaines municipales de mars 2026. La ville prévoit d’y installer une agora centrale de rassemblement, des espaces d’exposition et de spectacle, une artothèque, un Fablab, un café et un kiosque à journaux. Le coût global, achat du bail inclus, est estimé à 10 millions d’euros.
À l’annonce de cette nouvelle, l’obsession revient. Après deux décennies de tentatives de reconversion, du commerce à la restauration, en passant par des projets mixtes, la Gare du Sud a été le théâtre d’échecs répétitifs, de critiques sur la gestion municipale, et d’une dérive financière impossible à ignorer.
Un long passé de projets contrariés
La Gare du Sud a d’abord vécu une existence ferroviaire pendant près d’un siècle. Construite en 1892 par l’architecte Prosper Bobin pour la Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France, elle accueillait les voyageurs sur les voies métriques du « Train des Pignes ». Mais en décembre 1991, les Chemins de fer de Provence ferment la ligne, et le terminus est déplacé vers une nouvelle gare à proximité.
Durant les années 1990, l’État envisage la démolition de la halle métallique et du bâtiment voyageurs, une perspective qui suscite des protestations publiques. En 1993, Christian Estrosi, alors député, alerte le ministre de la Culture pour demander la préservation de la façade. Cette intervention contribue à stopper les pelleteuses. Finalement, la façade est inscrite aux Monuments historiques en 2002, puis la halle en 2005, neutralisant tout projet de destruction.
Mais préserver le patrimoine n’a pas suffi à définir une orientation pérenne. Dans les années 2000, la municipalité envisage divers usages pour la gare, comme des logements, des commerces, des équipements publics ou un parking. Certains projets envisageaient de reloger la mairie ou des associations, d’autres de mêler médiathèque, espace sportif et marché couvert. Le défi était de concilier le respect de l’architecture, le coût de rénovation et la viabilité économique.
Sous la direction de Christian Estrosi, élu maire en 2008, la question de la Gare du Sud devient une obsession municipale. Le projet de 2010, porté par l’agence Reichen & Robert, combinant logements, commerces et activités culturels, se heurte à des résistances politiques concernant le coût élevé de la remise en état et à des incertitudes quant à la fréquentation. Les premières pierres sont posées, mais l’élan tarde à venir.
C’est finalement en 2016 qu’un appel à projet retient l’attention. La création d’une halle gourmande, avec un modèle de food court, est lancée. En 2017, le promoteur Urban Renaissance est choisi. L’ambition porte sur la préservation de la halle métallique, la création d’un marché alimentaire contemporain, mêlant restauration et commerce. En mai 2019, la Halle gourmande ouvre avec ses 28 établissements, dans un cadre architectural spectaculaire.
Mais au fil des mois émergent des difficultés. Sous la verrière, la chaleur devient insupportable en été. L’isolation n’est pas optimale et la climatisation déficiente. La fréquentation stagne. Des loyers jugés trop élevés, des contraintes de fonctionnement et des dysfonctionnements sanitaires posent problème. En 2022, le lieu est fermé temporairement pour contrôle d’hygiène.
Face à cet échec, la ville confie en juin 2022 le bail à un groupe italien, Iera, pour lancer un nouveau concept baptisé Mediterraneo, fusionnant restauration méditerranéenne, événements culturels et concerts. Toutefois, ce projet peine lui aussi à prendre. Des contentieux juridiques émergent en plus des contraintes structurelles toujours présentes. Iera propose de céder le bail, et la ville intervient pour le racheter. C’est dans ce contexte que la nouvelle orientation culturelle pour 2026 voit le jour.


Les critiques d’une gestion municipale contestée
Derrière les péripéties de la Gare du Sud, l’essentiel du débat réside dans la gestion politique et financière. L’opposition évoque un « fiasco économique » à répétition. Des investissements mal calibrés et des recettes bien en dessous des projections. Juliette Chesnel-Le Roux, présidente des élus écologistes, critique le concept inadapté, un promoteur trop gourmand et des prix trop élevés.
Mais surtout, la succession d’orientations a conduit à une absence de stabilité. Le site est passé d’un modèle commercial à un modèle culturel, d’un opérateur privé à une gestion municipale directe, de la restauration événementielle à l’animation sociale. Chaque reconfiguration s’est traduite par des abandons partiels, des retards et des coûts imprévus.
Un renouveau programmé… mais à quel prix ?
L’annonce d’Estrosi pour 2026 pose un nouveau défi, celui de faire converger la dimension culturelle et l’équilibre économique, là où les projets précédents ont failli. Le futur « centre culturel de Nice Gare du Sud » s’articulera autour de l’agora, des espaces documentaires, d’exposition, d’une artothèque, et de spectacles. Le projet prévoit de conserver la bibliothèque Raoul-Mille. L’inauguration est prévue début 2026, avec une délibération finale en novembre 2025.
Mais plusieurs interrogations subsistent. Premièrement, la capacité réelle d’attirer un public stable dans un format culturel dans ce quartier. Les initiatives passées ont souffert d’une fréquentation insuffisante. Deuxièmement, la contrainte de temps. Avec les municipales de 2026 à l’horizon, certains craignent une pression politique pour « livrer du spectaculaire », quitte à bâcler les procédures. Enfin, la question de la viabilité économique, car même avec une offre culturelle, il faudra des recettes (billetterie, subventions, dons) pour compenser l’abandon progressif du modèle marchand flamboyant.
Ainsi, l’histoire de la Gare du Sud est autant celle d’une architecture protégée importante aux niçois que celle d’un territoire toujours en quête d’identité. La décision de Christian Estrosi de récupérer le bail en régie municipale marque une rupture. Ce n’est plus une délégation privée, mais un pari de la puissance publique, d’à nouveau affirmer la dimension sociale et culturelle du site. La Gare du Sud, après des décennies d’errance, pourrait finalement trouver sa vocation… si la ville et son maire apprennent de leurs échecs passés.

