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28 avril 2024

« La gloire de Bergson », par François Azouvi : le « supplément d’âme » d’une philosophie.

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La_Gloire.jpg Avec le réel succès de son « Descartes et la France, histoire d’une passion nationale » (https://www.nicepremium.fr/article/descartes-c-est-la-france-.1609.html), François Azouvi a mis la main sur une bonne formule: s’essayer au genre de la biographie mais remodeler entièrement son approche. Il ne s’agit plus de raconter avec un luxe de détails la vie d’un penseur mais plutôt de replacer son œuvre au cœur des grandes évolutions intellectuelles et politiques de son siècle.

Sa dernière étude sur Henri Bergson s’inspire de la même veine et épouse les mêmes perspectives. La vie personnelle de Bergson cède le pas à un « Essai » sur son « magistère philosophique ». Choix d’autant plus intéressant: celui qui sera reconnu comme le « philosophe de l’intuition » se trouve astronomiquement – et pour cause – éloigné de la pensée cartésienne. Contrairement au second, le premier connaîtra la gloire de son vivant. Mais l’un comme l’autre seront rejetés de La Sorbonne, nom, ironise l’auteur, qu’il n’est pas besoin de « prononcer pour écrire l’histoire moderne de la philosophie, si ce n’est pour désigner le lieu où les philosophes les plus notoires n’ont pas enseigné » ! Bergson dispensera donc ses cours au Collège de France, déjà créé, nous dit le directeur de recherche au CNRS, par François 1er afin de contourner une « université déjà ankylosée ». Situation de « refusé » qui ne desservira pas, bien au contraire, sa fortune intellectuelle: à l’apogée de sa notoriété, des valets de chambre réservent plusieurs heures à l’avance une place pour ces « dames du monde » venues écouter le maître.

L’auteur de « l’Evolution créatrice » devient l’homme d’une époque, de tout un siècle puisque ses premières réflexions issues dès 1889, surfent, dirait-on aujourd’hui, sur un ample mouvement de lassitude, voire de « banqueroute » selon l’expression exagérée d’un contemporain, qui touche les fondements de la pensée positiviste: l’absolu de la vérité scientifique et la primauté du raisonnement expérimental. Est-ce le tournant du siècle toujours propice chez les peuples à l’engouement pour une philosophie spiritualiste -il suffit de noter toutes les spéculations autour du passage à l’an 2000- qui contribua au succès du philosophe ? Toujours est-il que les commentaires de son « Essai sur les données immédiates de la conscience », parus en 1889, puis ceux portant sur « Matière et mémoire » en 1896 situent Bergson en adversaire de l’intellectualisme et du rationalisme kantien. Ils le posent, par surcroît, en adepte d’une métaphysique où la « psychologie devient la science des réalités par excellence ». Cet acte de naissance formulé, la méthodologie employée par l’auteur dans son « Descartes » s’impose: en convoquant, par son extraordinaire érudition, les œuvres des artistes, les réflexions des intellectuels et des penseurs, les réactions des hommes politiques de tout bord et les anathèmes des responsables du clergé de l’époque sur Bergson, François Azouvi nous permet subtilement de nous approprier « en creux » et graduellement, l’ensemble de son œuvre philosophique complexe. Un exemple: Les peintres « symbolistes » puis « futuristes » s’en réclament et les critiques littéraires veulent déceler dans « Du côté de chez Swann » de Marcel Proust, cette capacité respective de l’art et du langage à accéder à l’intériorité. Dans l’un et l’autre cas, Bergson se démarque et réfute. Proust confirme dans une interview que son roman ne doit rien au philosophe. Rien n’y fait. « Rallonge bizarre de la gloire qu’est la légende », explique Albert Thibaudet dans une formule parlante qui accompagne le succès de son ouvrage majeur de 1907 « L’Evolution créatrice ». En dépit de soutiens manifestes dans la droite nationaliste et conservatrice, le « choc » de cette publication – l’idée d’un « élan vital » permettant par retour sur soi-même de retrouver l’essence divine – conduira en juin 1914 à sa mise à l’Index par une Eglise de Rome décidément plus thomiste qu’augustinienne. Quatre mois après son élection à l’Académie française et quatorze ans avant l’attribution du Prix Nobel en 1928. Entre temps, lui qui s’est toujours « tenu à l’écart des engagements politiques » aura tout même rempli brillamment la mission confiée par le Gouvernement d’Aristide Briand de se rendre auprès du Président Wilson pour le convaincre d’entrer en guerre aux côtés des alliés.

Une étoile pâlit lorsqu’elle rejoint l’immensité du firmament. Devenu « classique », et donc moins à la mode, le bergsonisme a toutefois produit « quelque chose de vraiment neuf en France », affirme en conclusion François Azouvi: événement populaire, « l’instance philosophique est devenue la chose de tous ».

François Azouvi, « La gloire de Bergson, Essai sur le magistère philosophique », Coll. NRF essais, Editions Gallimard, 2007, 390 p., 22,50 Euros

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