Jusqu’au 22 juin, Laurent Lecuelle expose ses œuvres faites de carton dans la Galerie Ferrero, au cœur du vieux Nice. De son pseudo « ARTON », l’artiste réinvente le carton au service de l’art.
Au cœur de la rue Droite, Laurent Lecuelle est là, face à ses œuvres. L’artiste présente avec ardeur ses créations et transmet sa passion, unique. Des tableaux, avec des morceaux de cartons, collés entre eux. Rien de plus profond. Il raconte l’histoire de ce matériau, en jouant avec le relief, la lumière et les formes. Souvent considéré comme un emballage, dans les œuvres d’ARTON, le carton est bel est bien la finition. Interview.
Pourquoi avoir choisi de faire des œuvres en carton ?
Laurent Lecuelle : « le carton, c’est dans l’ère du temps. J’aime le carton, j’aime parler de l’ustensile carton. Qui passe de main en main. Il évoque des flux humains, commerciaux. Il représente aussi notre société de consommation. Et le carton a des marques : des trous, des déchirures. Avec le carton, on peut faire plein de choses différentes. Des tableaux avec seulement des trous, avec des éléments déchirés, du relief. Les tableaux représentent des choses différentes, qui parlent à chacun. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter ce que symbolise le carton.
Quand est-ce qu’est née cette envie chez vous ?
Le déclic, c’est un homme de la région : Bernar Venet. Dans les années 1970, il a fait du carton, avec du goudron. J’ai vu une retrospective de sa vie et de son œuvre, cela m’a intrigué. Je suis rentré chez moi et j’ai commencé à travailler avec du carton. Puis la semaine d’après, je suis allé voir une exposition de Pierre Soulages. Cela m’a rappelé les quelques jours précédents où je barbouillais mon carton. J’ai été interpellé par ses cannelures, que j’avais peintes. Je me suis alors dit que le carton, c’était intéressant et que j’allais creuser. J’ai fait cela pendant deux, trois ans, avant le Covid. J’ai accéléré la création en sortant de la crise, puis j’ai loué une salle pour regarder la tête des gens. Cela a plu tout de suite.
Et où est-ce que vous le trouvez ce carton ?
Quand je fais mes courses par exemple, en grande surface, je regarde les palettes et si quelqu’un déchire ses cartons, je demande à en piquer. Je montre ensuite ce que je fais et on me dit de prendre ce que je veux (rires). Aussi devant les commerçants, quand ils sortent leurs cartons.
Parlez nous de la genèse de vos œuvres. Vous avez une idée de comment vous aller assembler vos éléments ou vous laissez libre cours à votre imagination ?
Parfois je laisse libre cours mais j’aime aussi l’ordre. J’aime quand c’est bien rangé. Par contre j’ai un côté un peu enfant, il faut qu’il y ait de la liberté quand même.
Ordonné et désordonné à la fois ?
C’est cela. Et c’est ce qui me caractérise. C’est peut-être ce qui plaît dans mon travail aussi. Partir dans n’importe quel sens alors que si vous regardez bien, il y a de l’ordre à un moment donné. Il y a un travail miroir. On retrouve des morceaux de cartons similaires de manière symétrique. Grâce à cela, il y a une harmonie que l’œil détecte et avec lequel on se sent bien avec l’œuvre. Il y a un gros travail technique pour pas qu’il n’y ait pas de déséquilibre.
Et pourquoi le choix du monochrome pour vos œuvres ?
Je préfère le monochrome parce qu’on voit mon vrai travail. Mon vrai travail, c’est le dessous, le carton. Avec la peinture, je suis presque dans la décoration. Quand on met trop de couleur, on est attiré par la couleur. Et moins par le fond. Les gens passent et me disent « votre tableau avec les points de couleur est beau. » Sans me parler du fond, de la construction du dessous.
En moyenne, vous mettez combien de temps à faire un tableau ?
Je mets une journée pour collecter mes morceaux de cartons. Une journée pour imaginer comment les positionner et les retravailler si besoin. Et je mets une journée, voire deux, de collage. Puis les finitions avec le cadre, les deux couches de peinture. En une semaine, le tableau est fait.
Il y a une part d’écologie dans vos œuvres ?
Oui. Il y a un message. Bien sûr. Ce qui me fascine, c’est que c’est du bois le carton. Cette œuvre avec l’arbre, par exemple, c’est aussi cela. On est purement dans le bois. Ce tableau, c’était pour un salon avec « l’arbre dans tous ses états » comme thème. Il y a un message qui est clair. Mais je fais du militantisme discret.
Est-ce que vous avez déjà pensé à travailler avec autre chose que le carton ?
Oui ! J’ai une exception là-bas. C’est un tableau qui n’est pas en carton. C’est du cuir. J’ai été vexé par quelqu’un qui m’a dit que l’un de mes tableaux aurait été mieux en cuir. Alors je suis rentré chez moi et j’ai cherché du cuir. Et j’ai pris du plaisir à faire ce tableau parce qu’il y a un vrai lien avec mes œuvres en carton. On trouve des découpes aussi par exemple. Les poils prennent la lumière différemment donc c’est très intéressant. J’ai trouvé plein de points communs avec le carton alors je me suis dit que j’allais en faire d’autres. Je suis aussi toujours à l’affût de trouver d’autres matières qui viendront faire la petite exception dans mes expositions carton. En répondant à mes principes et en racontant quelque chose, une histoire. Mais je veux rester l’homme du carton.
Et alors, si vous deviez vous définir en un seul mot ?
Le partage. Parce que quand je fais un tableau, dans la dernière ligne droite où je le fais, il ne m’appartient déjà plus. Je le fais déjà pour quelqu’un. Et je pense au plaisir que ces personnes vont avoir en ayant mon tableau chez eux.
Pour terminer, on va se projeter un peu. Y a-t-il une ville, un lieu, en particulier, où vous aimeriez exposer vos œuvres ?
Beaubourg (le Centre Pompidou, ndlr), ou le MoMA. Paris et New York. Mais bon, c’est encore loin.