Matthieu Bailet : « réussir à m’exprimer sur les skis »

De retour de sa tournée américaine, le skieur niçois Matthieu Bailet est rentré quelques jours dans ses montagnes qui l’ont vu grandir. Le temps pour lui de faire le point sur son début de saison pas idéal avant de reprendre la compétition ce week-end à Val Gardena.

A 29 ans, Matthieu Bailet est dans « l’âge d’or » de sa carrière. Animé par l’envie de se frotter aux meilleurs, le skieur Niçois vit une amorce de saison loin de ses standards. Pénalisé par sa fin de saison dernière, le Maralpin doit composer avec des dossards très élevés aux départs des premières courses. Résultat, une 34e place sur le Super-G de Copper Mountain en ouverture de la saison puis une décevante 53e place en descente à Beaver Creek dans des conditions très difficiles ne lui ont permis de marquer ses premiers points de la saison. Pour son retour chez lui, Matthieu Bailet nous a accordé un moment afin de faire un premier bilan de son début de saison et se projeter jusqu’au Jeux olympique de Milan-Cortina en février 2026.

Le début de saison n’a pas été top. Comment vous vous sentez aujourd’hui ?

« C’est vrai, le début de saison n’a pas été top. Je me sens bien aujourd’hui, mais j’ai envie de plus. Je ne suis pas là où j’ai envie d’être. J’ai envie de courir, de travailler, d’avoir des opportunités pour poser mon classement, m’améliorer, avancer et revenir rapidement sur ces premières courses. »

Vous êtes souvent parti avec de gros dossards, ça n’aide pas la performance…

« Le dossard, c’est quelque chose de très important chez nous. On le voit aujourd’hui sur les courses qu’il y a eu à Val d’Isère, à Saint-Moritz, etc., pour les femmes et les hommes. Il n’y a pas que la question du niveau de performance. Il faut aussi avancer dans le classement, partir avec de bons dossards pour avoir de meilleures conditions, etc. Une saison compliquée comme la mienne l’année passée impacte cette nouvelle saison. Il y a très peu de sports où on retrouve ça. Du coup, je me relance avec des dossards élevés. Sur ces premières courses, l’opportunité d’aller chercher un gros résultat avec des dossards élevés était quasiment nul. »

Il y a quand même des motifs de satisfaction, avec ce 3e chrono lors de l’entraînement de descente à Beaver Creek

« Oui, exactement. Et après, nous, on analyse un peu plus profondément que ça. Il y a plein de bonnes choses. C’est ça, aujourd’hui, qui crée cette petite frustration et cette envie de plus. Au niveau ski, il y a beaucoup mieux que là où je suis aujourd’hui. La descente à Beaver Creek, il n’y avait aucune chance. Les athlètes qui partaient un peu derrière, qui font les plus grosses remontées, terminent 35e, 37e à cause des conditions très difficiles. Maintenant, le but, c’est de foncer sur Val Gardena, en espérant vraiment que les conditions permettent, au dossard un peu plus élevé, s’il y a du bon ski, de pouvoir taper fort devant. »

Est-ce que vos performances sur les premières courses de la saison vous inquiètent en prévision des JO ?

« Non, je pense qu’inquiétude n’est clairement pas le mot juste. L’inquiétude n’apporte rien dans la recherche de performance. La seule chose que je peux faire en tant que sportif, en tant que skieur professionnel, c’est de me concentrer sur mon ski, sur mon plan d’action, et d’essayer de faire mon meilleur ski. Pour le résultat, on fera les calculs une fois qu’on a passé la ligne d’arrivée. Avant les courses, ce n’est pas toujours facile, mentalement. Le but, c’est d’en faire abstraction et de se concentrer au maximum sur sa performance. »

Quels sont les points d’amélioration à travailler pour les courses à venir ?

« Là, on a vu qu’il nous fallait un peu plus de justesse au niveau du matériel. C’est une dimension extrêmement importante dans nos disciplines. Concrètement, c’est la Formule 1 des sports d’hiver. Il y a tellement de facteurs qui rentrent en compte et le niveau se tire tellement vers le haut que ça ne suffit plus. Quand on voit des athlètes qui gagnent régulièrement sur différentes conditions, on n’imagine pas tous les bons choix qui sont nécessaires à ça. Le deuxième point, c’est d’essayer de trouver un certain relâchement dans mon ski en compétition. Il y a clairement encore un léger impact de la saison passée. Qu’on le veuille ou non, c’est la première fois dans toute ma carrière où j’ai un manque de confiance par rapport à ce que j’ai vécu en fin de saison dernière. Ça va beaucoup mieux, mais je ne me sens pas encore complètement libéré sur mes skis. »

Est-ce que le fait que ce soit une année olympique peut inconsciemment vous mettre un peu sur la retenue sur les courses de la Coupe du monde ?

« Pas du tout. J’ai même du mal à le concevoir dans ce sens-là. Les Jeux, c’est une motivation énorme. On est dans un sport où c’est compliqué de faire ça. Parce que finalement, notre sélection dépend des résultats actuels. Ce n’est pas parce que quelqu’un a été champion du monde l’année dernière qu’il est forcément qualifié pour les Jeux. On doit faire nos preuves dans la saison et après avoir son pic de forme aux Jeux olympiques. »

Vous évoquez souvent le plaisir d’être « sur le fil », pendant les courses. Comment gère-t-on la peur et l’adrénaline dans ces moments ?

« Alors, c’est très drôle. Juste la première approche, c’est que de l’extérieur, il y a cette idée d’être toujours sur le fil. En fait, ce n’est pas du tout une recherche d’être sur le fil. Ce qu’on veut, c’est repousser la limite et essayer d’être le plus rapide possible. Ce qui fait que, des fois, on tombe du fil.

La dimension du stress et de la peur, sont deux choses différentes. Le stress, ça peut être une attente, qui peut être personnelle ou extérieure. La peur, en fait, on la touche dans notre sport, surtout dans les disciplines de vitesse, parce qu’on sait, même si on n’y pense pas forcément, qu’il y a clairement un risque. Mais pas un risque de se faire un genou. Nous, quand il y a une chute et que l’athlète a une rupture des ligaments croisés, ça va, en fait. Bien sûr qu’on est touché par cette peur. Je pense que c’est quelque chose de très personnel. Chacun la gère différemment. Moi, j’ai eu une tendance à m’en servir et à me sentir vivant quand elle m’atteint. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la descente et le Super-G relativement jeune. Cette dimension de d’abord réussir à survivre à une piste avant d’essayer de la gagner. »

Quel est votre rituel avant chaque course pour vous mettre dans votre bulle et vous préparer à avoir la meilleure performance ?

« Souvent, je me lève relativement tôt, avec un premier échauffement plutôt passif et de la mobilité le matin. Derrière ça, on suit un programme un peu habituel de petit déjeuner, on s’en va, on prend la première remontée. C’est très agréable de partir assez tôt pour aller se faire une ou deux pistes relativement à l’aube, quand on n’est pas encore complètement en mode course, qu’il n’y a personne sur les pistes et qu’elles ouvrent juste pour qu’on puisse s’échauffer. Pour moi, le switch, c’est quand on fait la reconnaissance. La préparation des choix tactiques, on regarde un petit peu les conditions et, à partir de ce moment-là, il y a une certaine bulle qui commence à se créer. Et c’est là où, au fur et à mesure que le départ s’approche, je parle de moins en moins. Ça commence une heure et demie avant mon départ. J’ai tendance à mettre de la musique et j’arrive au départ. Dernier échauffement physique, puis après, le temps de prendre les dernières informations et il est l’heure de s’élancer. »

Comment vont s’organiser vos prochaines journées d’ici à la prochaine semaine de compétition à Val Gardena et jusqu’aux JO, où vous allez retrouver une piste que vous appréciez particulièrement à Bormio ?

« C’est une piste pour laquelle j’ai énormément d’amour. Mais de l’amour pur, c’est-à-dire que j’y ai vécu certains de mes meilleurs résultats et aussi certains de mes plus gros crashs. Du coup, c’est une affection plutôt unique et je n’ai qu’une hâte, c’est d’avoir l’opportunité de pouvoir y courir. Mais on n’y court pas cette année entre les fêtes, puisque c’est là où il y aura nos Jeux olympiques. On ira à Livigno entre Noël et le Nouvel An, une piste qu’on n’a jamais courue.

Pour ce qui est du programme, j’ai fait ma dernière session d’entraînement physique aujourd’hui (l’interview a été réalisée samedi dernier, NDLR), j’ai fait mon dernier entraînement ski hier (vendredi) à Isola 2000. Maintenant, c’est repos cet après-midi, on fait les affaires, je m’en vais demain (dimanche). On a un premier jour d’entraînement non officiel en Géant ou en Super-G ce mardi, et premier entraînement officiel en descente mercredi. »

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite de la saison, du coup ?

« Réussir à m’exprimer sur les skis comme je suis capable de le faire sur certaines parties, de me régaler et de me libérer surtout. Parce que si je me sens libre et que j’arrive à créer la vitesse comme j’en ai les capacités, ça peut faire de très beaux résultats. Et ça va faire de très beaux résultats, on espère. »

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