
Il existe sans doute mille bonnes raisons de se rendre à Tozeur, la capitale du Jérid dans le Sahara tunisien : l’inauguration par la compagnie Tunis Air d’un vol direct en partance de Nice Côte d’Azur, parcours à peine plus long qu’un Paris-Nice, n’est certainement pas la dernière. Mais, histoire de mettre le lecteur dans l’ambiance, on commencera par la plus anecdotique, la plus couleur locale. Le sérieux, qu’on se rassure, viendra ensuite.

Tozeur, c’est l’anti-littoral. Une claque à Djerba, un pied de nez à Hammamet. Au blanc et bleu, couleurs symboliques de la côte tunisienne qu’on retrouve dans les carrelages muraux et les faïences extérieures, le Jérid préfère l’ocre discret d’un sable fin au teint halé par le soleil. Poussière vivante qui réagit par des tons de rouge ou de vert lorsqu’elle subit les assauts intempestifs de la pluie. Le bord de mer invite à regarder l’infini de l’horizon. Le désert exhorte au plus profond retour sur soi. Il ordonne le départ d’une expédition vers l’intérieur. Assurément un moment intense.


Au-delà des chiffres, se pose néanmoins une question : la nature même de ce tourisme. Ce voyage a en effet laissé apparaître deux projets touristiques en cours d’élaboration dans cette région de Tunisie. Problème : peuvent-ils cohabiter ? Sont-ils complémentaires ou antagonistes ?
Sur un premier versant, les autorités politiques entendent apparemment développer sur le long terme, un tourisme large, potentiellement massif, en multipliant les infrastructures d’accueil et en aménageant les sites géographiques. Une orientation qui implique construction d’hôtels de grand standing, ouverture de larges routes et exploitation des sites et paysages. Ces derniers ne font d’ailleurs pas défaut : avec ses 1000 hectares de palmeraies irriguées par 200 sources, la visite des souks ou celle de la médina en calèche, les périples dans le désert à dos de chameaux ou sanglé sur des quads, la traversée des gorges de Selja en Lézard rouge (ancien train beylical), la découverte des oasis de Midès ou celle de Nefta, sans oublier pour les inconditionnels de Star Wars, le moment de recueillement sur le site du tournage des premiers épisodes dans les dunes de J’mel, offrent l’occasion de dépaysements aussi nombreux que variés.
Mais à cette approche, les tours opérateurs européens semblent, pour le moment, en privilégier une seconde. Celle d’un tourisme élitiste réservé à une clientèle aisée, désireuse de l’exclusivité et soucieuse de l’exceptionnel, à la recherche enfin d’une sorte de fulgurance exotique le temps pressé d’un week-end.

Réparties sur son immense domaine, de vastes « restanques » illuminées de 5000 bougies pour la plus spacieuse, de 1000 bougies – seulement !- pour la plus modeste, ménagent un espace intemporel, une rupture garantie avec la réalité. Une « consommation expérientielle » pour plagier les spécialistes de marketing. Puissante mais forcément de courte durée.
Les « événementiels » tunisiens emboîtent, quant à eux, le pas à leurs confrères européens. A l’image du directeur de « Tunisia Events » (www.tunevents.net), organisateur du somptueux buffet à la soirée du Maire de Tozeur lequel recevait les invités dans son hôtel particulier. Ce dernier abrite d’ailleurs un musée doté d’une prestigieuse collections privée d’arts et d’objets précieux. « Tunisia Events » s’était pour l’occasion, associé à la société « Food Power » du chef Mehdi Khaled, passé par les cuisines d’Alain Ducasse, et, pour des décors particulièrement soignés, à Nada, elle-même diplômée de l’Ecole des Beaux Arts à Paris. Trois musiciens égrenaient des mélodies dans la plus pure des traditions du « Malouf ».
Résident à Tunis, responsable d’environ 70 « grosses opérations » dans toute la Tunisie, Moëz Karoui, ancien de Paris-Dauphine, explique que la « clientèle » de son agence ne souhaite pas retrouver ce qu’elle connaît dans d’autres pays d’Afrique du Nord. Sa « niche » touristique suppose une sorte de « maintien en l’état » sociologique et culturel, a priori contraire au développement de Tozeur. « La charrette tirée par un âne ne doit pas être remplacée demain par un vélomoteur » souligne-t-il. D’où son souhait de « limiter le nombre des riads construits par les Européens ». Déjà, deux cents Français résident ordinairement dans la capitale régionale du Jérid.
Le directeur de « Tunisia Events » donne un autre exemple du tourisme haut de gamme qu’il entend privilégier : récemment trois firmes de luxe, Hugo Boss, Easy Jet et Moët & Chandon ont réuni leurs cadres pour ce qu’il appelle un « one shot event ». Les heureux bénéficiaires ont ainsi été invités à se présenter pour une soirée au comptoir d’embarquement d’un aéroport parisien sans connaître leur destination finale. Arrivés à Tozeur, des Land Cruiser les ont emportés dans le désert où sous une tente bédouine, un DJ animait déjà une fête qui a duré toute la nuit. Le retour en France eut lieu dans la foulée au petit matin.
On sent bien l’ambiguïté des hôteliers face à ce dilemme. Avec un taux de remplissage de 35%, en moyenne, expliquent plusieurs d’entre eux, il est important de « ne pas manquer les occasions ». Reste à savoir s’ils parviendront à combiner les deux formules de clientèle. Sur la durée, la première, prioritaire et avide de sensation, devrait logiquement laisser la place à la seconde, plus fidèle, classique et modeste dans ses choix.
Revenons pour terminer à cette bonne ville de Tozeur qui abrite également un « Institut Supérieur d’Etudes appliquées aux humanités » – un nom qui fleure bon la Sorbonne – lequel a d’emblée intégré la réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) des Universités françaises. Tourné vers les formations professionnalisantes, cet Institut prépare les étudiants aux métiers du tourisme et du patrimoine, aux professions du multimédia ainsi qu’aux responsabilités dans les domaines du commerce et des affaires internationales. Des « professeurs visiteurs » français et italiens viennent régulièrement y dispenser cours et séminaires. A la direction de cet Institut, l’auteur de ces lignes a curieusement retrouvé un de ses anciens étudiants parisiens. Notons en outre les efforts considérables déployés par le gouvernement pour promouvoir l’éducation dans les coins les plus reculés de cette partie de la Tunisie : le moindre petit village, aux routes déformées et aux trottoirs inachevés, comporte néanmoins un bâtiment neuf réservé à l’enseignement. Pour être complet dans la description, on ajoutera qu’il jouxte souvent un autre établissement, tout aussi moderne d’où s’élancent des pylônes aux multiples antennes, exclusivité de la police ou de la Garde nationale.


Que retenir de tout ce périple ? Une gentillesse non feinte, certainement plus authentique, plus rustique également que celle probablement dispensée dans d’autres endroits plus touristiques de Tunisie. Assurément un capital essentiel – à préserver – dans le développement balbutiant de cette région. Il faut toutefois espérer que les mutations charriées par l’arrivée de cette modernité n’altèrent en rien ce qui pour le moment contribue à l’indescriptible charme de Tozeur.
Photos: Philippe Bellissent (Aéroport Nice Côte d’Azur), Asma Ennaifer (Tunis Air), Anne Sophie Nickel (agence Destinations à la carte).













