

Loin de cette approche intellectuelle, l’anthropologue du fait religieux Dounia Bouzar, co-auteur avec sa fille d’un livre sur la religion dans le monde du travail (« Allah a-t-il sa place dans l’entreprise ? », Editions Albin Michel, 2009) a montré toutes les difficultés liées au management des croyances dans le secteur privé. Elle a ainsi proposé une « série de critères pour traiter les Musulmans comme les autres » sur leur lieu de travail, mentionnant au fil de sa démonstration, l’exemple du port d’un signe religieux en « relation avec l’hygiène », celui des « interdits alimentaires et de la concentration » au bureau ou celui de la « gestion des fêtes rituelles » dans l’organisation des tâches. Rejetant « à la fois la diabolisation et le laxisme, deux faces d’une même pièce », Dounia Bouzar n’en a pas moins contradictoirement reconnu la nécessité d’une administration de ces problèmes « au cas par cas ». Alors que pèse, selon elle, une « suspicion d’altérité sur l’islam », « être musulman laïc, a-t-elle ajouté, fait à la fois violence aux salafistes mais aussi à certains politiques ». Répondant à une question du public sur la violence dans les banlieues, elle a précisé que cette dernière, contrairement aux idées reçues, venait plutôt d’une « surintégration des valeurs de la république marquée par le constat des inégalités ».
Relativement peu nombreux sur les gradins du Centre Universitaire Méditerranéen, les « jeunes » ont pourtant été le principal sujet des réflexions parmi les intervenants. Ces derniers ont majoritairement dénoncé les « inégalités sociales » et les « discriminations » dont la jeunesse des banlieues serait, selon eux, la « victime ». Des jeunes appelés par Aziz Senni, Président fondateur du Fond d’investissement « Business Angels des Cités », à résoudre cette « rupture entre la banlieue et la France, créant un pays à deux vitesses ». Il a notamment proposé deux mesures : que les « entreprises situées en dehors des zones franches puissent bénéficier des mêmes dispositions fiscales si elle embauchent des jeunes en provenance de ces zones » et obliger « les banques à inscrire sur leur bilan le montant des sommes effectivement prêtées aux jeunes entreprises ». Deux propositions destinées, selon lui, à favoriser l’emploi des jeunes. « Nous ne sommes pas tous des héritiers », a-t-il expliqué dans une allusion au fils de Nicolas Sarkozy. A son image, il a par surcroît appelé cette jeunesse à « s’engager » en rappelant qu’on « a le droit de ne pas aimer la société dans laquelle on est », à la condition de ne pas rester inactifs. Et de conclure : « la France tu l’aimes ou tu la changes ».
Nettement plus modérée, l’intervention du Président de la Fédération MOSAIC sur le thème « Construisons ensemble l’avenir de nos enfants » a fait référence à la maxime électorale du président américain « Barack Hussein Obama » : « Yes we can ». Conseiller municipal dans l’équipe de Christian Estrosi, Marouane Bouloudhnine a ainsi décliné, à l’instar d’une philosophie de proximité, toute une série de thèmes, autant « d’axes d’actions qui seront mis en place par les vingt-trois bureaux régionaux de la Fédération ». Des bureaux « en cours de construction », a-t-il tenu à préciser. « S’éloigner de toute victimisation », « prendre en main notre destin », « ne pas se laisser enfermer dans des débats réducteurs sur le voile et la burqa », « se cantonner à l’espace culturel et spirituel », « mettre en avant l’exemplarité », « appeler à la modération alors que priment des logiques de radicalisation communautaire » et « exposer ses convictions dans le dialogue et non dans la violence », autant de leitmotivs afin de « devenir l’interlocuteur des institutions et des pouvoirs publics ».
Plus inattendue, reconnaissant lui-même sa « présence décolorée dans le débat », la participation du Procureur de la république de Nice sur le thème « Celui qui sait est responsable de celui qui ne sait pas » s’est révélée plus politique malgré les dénégations préliminaires de l’orateur. Ne serait-ce que par les propos introductifs suscitant une ovation particulièrement enthousiaste de la salle : « je salue bien tous les Auvergnats présents ».
Même s’il « comprend l’aspiration de ces Français de sensibilité musulmane », Eric de Montgolfier a préféré s’interroger plus largement sur les risques liés à la catégorisation des individus : « après celle des femmes et celles des homosexuels, faut-il ouvrir une nouvelle cage ? » s’est demandé le magistrat ? Il a notamment regretté que « la France n’ait aucun sens du partage », ou plutôt « un sens particulier : le cœur des villes pour les plus fortunés et la périphérie pour ceux qui dérangent ». La « justice ne pourra pas réparer les injustices de la société », a-t-il poursuivi avant de reconnaître que ces « injustices interrogent la passivité globale des citoyens de ce pays ». Mû par le sentiment que le débat sur l’identité nationale « s’ouvrait ce jour », il s’est demandé : « s’agit-il d’un cadre fixe où l’on est prié de s’inscrire » ou sinon, « de partir ? ». Cette notion d’identité nationale, Eric de Montgolfier la voit plutôt comme le « socle d’un idéal du vivre ensemble dans le respect mutuel et où chacun pourrait apporter ce qu’il a de plus profond pourvu que cela s’inscrive dans le cadre de l’intérêt général ». Tout en rappelant pour ce débat, « l’impérieuse obligation de définir la notion », il a souhaité que soit respecté « le plus essentiel dans la devise de la République, la Fraternité ». Avant de lancer dans une formule aux accents mobilisateurs : « Souvenez-vous en, sinon la République ne sera plus qu’une religion ! ».
A la clôture des travaux, Marouane Bouloudhnine a donné rendez-vous le 2 avril 2010 au Sénat pour la poursuite de la discussion avec le « Comité républicain de la Région Ile de France ». Une annonce de « timing » alors que les pouvoirs publics n’ont pas encore dévoilé l’organisation au niveau national et local de ces discussions. Et qui pose in fine une question : le gouvernement pourra-t-il prétendre demeurer l’instigateur d’un événement national qui semble d’ores et déjà lui échapper par son ampleur ?