

On se félicitera d’autant plus de la mise en circulation des « 360 versions linguistiques » de ce texte par les services de l’ONU que la « proclamation » désigne clairement « l’enseignement et l’éducation » comme les moyens essentiels de développer le respect de ces droits et de ces libertés. On ne pourra toutefois pas manquer de relever dans le préambule -sage précaution qui en dit long sur le réalisme des rédacteurs- le fait que cette déclaration constitue « un idéal humain à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». Un objectif dessiné en perspective, ligne aussi fuyante et inaccessible à rattraper qu’un désir impossible à satisfaire -il s’amplifie et s’esquive à mesure que l’on s’en approche – et dont on ne sait, de l’éloignement des finalités dans le temps ou de l’universalisme des valeurs mentionnées, ce qui en constitue le principal écueil. La digne et noble ambition du texte n’aurait-elle pas produit en son sein son pire ennemi ?
Invitons toutefois le lecteur à prendre quelques minutes de son temps précieux et à lire ce texte (https://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm) à la manière des « libres associations », pratique inhérente à la psychanalyse : se laisser inspirer, à l’énoncé de chaque ligne, à la lecture de chaque phrase, par l’actualité, immédiate ou passée, nationale ou étrangère. Point n’est besoin de trop d’efforts pour qu’en égrenant chaque article, nous « viennent à l’esprit », défilent même devant nos yeux, d’amples illustrations des manquements, d’impressionnants récapitulatifs des violations, détournements et abus offerts par les atrocités du monde contemporain. Autant d’images qui bousculent nos pensées et assombrissent nos espoirs. Si les vingt-sept premiers articles ouvrent un immense champ des possibles et suscitent de légitimes espérances pour l’être humain, les trois derniers sont susceptibles, dans leurs multiples interprétations, de venir limiter la portée de tous les autres. Ils ont d’ailleurs souvent été instrumentalisés par les Etats dans un sens contraire à l’esprit et à la lettre des paragraphes en question : « l’ordre » qui doit régner sur le plan « social et international » évoqué par l’article 28 peut servir aux dictatures pour se justifier et faire accepter cette étape transitoire sur le long chemin de la démocratie. L’article 29 qui rappelle les « devoirs » et la « soumission » de chacun aux lois du pays, sous couvert des « droits d’autrui », des « exigences de la morale et de l’ordre public » fournit pléthore d’arguments pour restreindre l’application des droits édictés précédemment : on se souviendra comment les Constituants français de 1789 usèrent de la notion « d’ordre public » pour finalement restreindre les libertés individuelles. L’article 30, enfin, prohibe toute action visant à détruire ces droits mais reste silencieux sur les dégâts à même d’être causés par des actions censées les promouvoir.
De nombreux Etats de la planète s’apprêtent à célébrer cet anniversaire. Les uns avec faste, les autres avec plus de modestie. A la lumière de la composition et des travaux du nouveau Conseil onusien des Droits de l’homme, on comprendra mieux les seconds que les premiers.