

Politiques, les sommets de la Francophonie le sont tout autant. Celui qui vient de s’achever à Bucarest autour d’âpres discussions pour l’adoption du communiqué final en a donné une éclatante confirmation. Institutionnalisée en 1986 avec la 1ère Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement « ayant en commun l’usage du français », la Francophonie a ressenti le besoin de se doter d’une dimension politique. La Charte élaborée au sommet de Hanoï en 1997 intègre comme finalité, l’approfondissement de la démocratie, la consolidation de l’Etat de droit et le respect effectif des droits de l’homme. Autant de moyens privilégiés, selon elle, pour consolider la paix dans le monde. Edifice complété au sommet de Moncton deux ans plus tard par des mesures destinées à faire de l’Organisation un « acteur politique et diplomatique sur la scène internationale ».
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. En rendant possible l’adhésion d’un grand nombre d’Etats qui sont censés ne pas s’accommoder de crises, de conflits et d’atteintes aux droits de l’homme », la Francophonie court deux risques essentiels. En se politisant, l’Organisation pourrait, à l’image de l’Europe, se diluer dans un élargissement sans fin, s’éloigner de sa raison d’être. Que devient la « défense du Français » s’est ouvertement interrogée la représentante du Québec lors du sommet de Beyrouth en 2002 si, autour d’une table de négociations, la majorité des intervenants recourt aux interprètes pour communiquer ? Cette orientation politique de la Francophonie contient aussi en elle-même les germes de grandes désillusions. L’authentique noblesse des idéaux buttera inévitablement sur les obstacles pratiques de leur mise en œuvre. Avec, en conséquence, cette interrogation: porteuse de principes démocratiques articulés à la puissance d’un Etat toujours prompt à les défendre et auquel elle s’identifie pour former ce que Marc Fumaroli appelle « une nation littéraire », la langue française ne court-elle pas le danger, par cette distance entre les mots et le terrain, de subir un changement de statut ? Le pire des scénarii serait que le Français, dont on craignait hier encore le contenu des mots, dont on épiait autrefois avec appréhension la diffusion de la pensée à l’étranger, ne dérange plus. Au contraire, devenu inoffensif, métalangage éthéré et sans effet, rhétorique dont la puissance intrinsèque des signifiants aurait été comme désactivée, il se rapprocherait de cette langue du XVIIIème siècle, « fictive » à force d’être réservée à l’usage exclusif d’un salon mondain. Il rassurerait. Il distrairait même.

