

Depuis deux ans environ, Hamra renaît de ses cendres. Sans rapport apparent avec les bouleversements politiques qui ont vu les Sunnites sceller une alliance avec les Chrétiens apres l’assassinat de Rafic Hariri, ni même avec la chute des activités du centre-ville occupé par le Hezbollah. Cafés, bars et même un club de Tango situé à côté de l’hôtel Marble Tower, signalent une renaissance de ce quartier. Notons que tous ces nouveaux espaces ne sont pas implantés sur Hamra mais dans les ruelles adjacentes ou au fond d’une cour, presque en catimini, comme à l’abri des indiscrets.

Authentique lieu de vie, de rencontres et de discussions, « De Prague » n‘hésite pas non plus à s’investir dans des projets artistiques extérieurs à son activité principale : il accorde un soutien financier au club d’art dramatique de l’AUB ou il met à disposition ses murs pour accueillir des expositions temporaires. Un objectif pas seulement intellectuel lorqu’il s’agit, comme dans le cas de « SPLACES », d’un rendez vous d’architectes expérimentaux chargés ensemble de réfléchir à la meilleure manière de développer les espaces encore libres ou à reconstruire dans cette zone géographique gravement endommagée par les conflits. On pourra s’étonner, alors que les dizaines de verres disposés sur les tables se remplissent et se vident allègrement, de pouvoir compter sur les doigts des deux mains le nombre de bouteilles rangées derrière le bar. « Produits incompatibles avec les livres et les tableaux qui ornent les murs », précise Khaled, ce qui n’empêche pas le « De Prague » de miser sur les ventes de boissons pour alimenter plus de 80 % de ses recettes. Mais l’alcool ne peut pas tout expliquer. Au plus fort de la guerre avec Israël en juillet 2006, « De Prague » n’a jamais désempli au point de devoir installer chaises et tables sur le trottoir afin de satisfaire une clientèle désireuse d’oublier les tensions.

Plus altermondialiste – parce que plus récent – que son ancêtre le « Rawda », café fréquenté essentiellement par la gauche libanaise des années 70 et situé à Raouché, juste à côté de la Grande roue, le « Baromètre », poursuit Ali, représente justement, d’où son nom, le moyen d’évaluer la situation politique, toujours entre des « hauts et des bas ». En fait, le fondateur, un chanteur lassé des incertitudes du lendemain, a souhaité se construire un endroit à lui et indépendent des aleas de la guerre. Lieu quelque peu alternatif, on y croise un soir un « artiste expérimental » aux yeux maquillés dans la pure tradition arabe du « Kehlé », d’un mélange de produits colorants noirs qui offre par contraste un regard d’une éclatante blancheur. A la table d’a côté, une discussion semble mettre aux prises un sympathisant du Hezbollah accroc au whisky coca et qui tente d’expliquer, apparemment en vain, à un jeune aux allures efféminées, la « contre nature » de son orientation sexuelle. Le plus destabilisé des deux ne fut pas celui qu’on croit. Bref, un endroit très convivial, aux ambiances de bistrot de quartier et un rien fumeurs d’une herbe qui ne serait pas seulement celle de Provence qu’on jette distraitement sur le barbecue.

D’entrée de jeu, Tony, l’un des associés, affirme vouloir « se désolidariser des folles du Marais » et promouvoir un « concept gay masculin et urbain ». Dont acte. La sélection à l’entrée sera d’autant plus conciliante qu’on sera « musclé ou poilu ». Les « mademoiselles bonne chance » devront légèrement patienter à l’extérieur. Cet ancien banquier connait, si l’on ose dire, son affaire. Deux raisons ont présidé à son choix d’installer un bar gay dans cette partie de la ville : historiquement, il y avait déjà dans cette rue et jusqu’au premières heures de la guerre deux établissements pour homosexuels. Encore un retour aux sources. Tony entend aussi s’éloigner des bars « gay friendly » de la rue Monnot comme le « 717 » dont la gestion n’a pas permis aux gérants de dépasser les six mois d’existence. Créé en mars 2006, ce lieu de rencontre où la musique n’obère pas la possibilité des échanges – verbaux s’entend – a prospéré avec l’ouverture d’une succursale à Paris et serait prochainement susceptible d’essaimer à Madrid, Londres et Cologne. Du « Wolf » isolé de Hamra, c’est donc une meute qui se prépare à déferler sur l’Europe.
« De Prague » : Hamra, rue Makdessi, Tel :00 961 3 57 52 82
« Baromètre » : Hamra, rue Makhoul, Tel : 00 961 3 678 998
« Wolf » : Hamra, rue Makhoul, Tel : 00 961 1 750 856 ou 00 961 3 520 859











