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29 mars 2024

Edito spécial Liban : L’Enigme politico-militaire du Hezbollah.

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Blocus de l'autoroute vers l'aéroport
Blocus de l’autoroute vers l’aéroport
Alors que les combats entre les partisans sunnites de Saad Hariri et les groupes chiites du Hezbollah ont cessé aux abords du quartier chrétien d’Achrafiyé, d’autres affrontements ont commencé tard dans la nuit dans les environs de Aley, fief du leader druze Walid Jumblatt dont les miliciens aguerris ont repoussé une attaque des forces de la milice pro-iranienne. Huit premiers morts dans le camp du Hezbollah et un prisonnier. Assurément une autre dimension pour les militants du Parti de Dieu après la facilité avec laquelle ils se sont emparés des principaux bastions sunnites dans l’ouest de la capitale libanaise. Le siège de la télévision dirigé par le fils de l’ancien premier Ministre Rafic Hariri assassiné en février 2005, les bureaux de la Fondation qui porte son nom ont ainsi été complètement saccagés après que les clefs des locaux eurent été préventivement remises à un officier de l’armée régulière. Une armée dont l’étrange neutralité, bien éloignée d’une force active d’interposition ardemment souhaitée par la population, ne cesse d’alimenter les spéculations sur ses véritables instructions. Une armée dont le Commandant en chef, le Général Michel Sleiman bénéficie pourtant du soutien inconditionnel de la communauté internationale pour la présidence du pays. Certains de ses éléments chiites ont même discrètement pactisé avec les assaillants.

L’accalmie du week-end dans la capitale ne doit pas tromper. Le soudain arrêt des hostilités dissimule mal la vive tension accumulée des derniers jours : de terribles histoires circulent à l’image de celles d’un mitraillage par le Hezbollah d’un cortège de civils lors de funérailles d’un sympathisant sunnite à Tarik Jdidé, à quelques centaines de mètres de la résidence de l’Ambassadeur de France. Celles d’habitants parfois délogés de leurs maisons et triés selon leur nom, révélant au passage leur appartenance communautaire, rappellent les pires heures de la guerre civile du Liban où la simple mention de la religion sur la carte d’identité valait mort ou survie pour son titulaire. Dans la nuit de samedi à dimanche au Akkar, dans le nord du pays, des combats meurtriers entre partisans du Parti pro syrien et militants du Mustaqubal, la formation de Saad Hariri, ont fait treize morts. Dans Tripoli, la cité du nord, quelques salves d’obus ont été tirées par un groupe alaouite pro-syrien dirigé par Jabal Mohsen sur des positions sunnites. La tenue en urgence d’un sommet arabe, la lente mobilisation de la Communauté internationale qui appelle pudiquement les belligérants à la « retenue » – seul le Canada a réellement condamné les agissements du Hezbollah -, les déclarations contradictoires du Ministre français des affaires étrangères selon lequel la « France ne restera pas inactive » sans toutefois « envisager une opération d’évacuation des ressortissants » ne devraient pas être de taille à stopper la progression des miliciens pro iraniens qui encerclent désormais le siège du Gouvernement de Fouad Siniora. L’UNIFIL, la force déployée par l’ONU au sud Liban, n’a pas, elle non plus, été en mesure d’empêcher les passages, confirmés mezzo voce par des responsables onusiens locaux, des armes et des munitions en provenance de l’Iran via la Syrie.

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Au-delà de l’actualité immédiate, ce conflit pose au moins trois questions. La première concerne évidement l’énigmatique stratégie du Hezbollah. Depuis sa fondation au début des années quatre-vingt, le Hezbollah a toujours officiellement revendiqué une doctrine fondée exclusivement sur la résistance armée à l’Etat hébreu, le retour des réfugiés palestiniens et la prise de Jérusalem comme capitale de l’Islam. Sa volonté énoncée de devenir un simple parti politique au sein de l’échiquier libanais a toujours été démentie par ses actes. Ces tout derniers jours encore, la milice chiite invoquait des raisons de sécurité et les menaces israéliennes pour refuser son désarmement, dénoncer la révocation du chef de la sécurité à l’aéroport de Beyrouth réputé proche de cette formation et justifier des moyens sophistiqués de communication parallèles à ceux de l’Etat libanais. Ces quelques heures d’affrontements ont réduit à néant, tant auprès de la population libanaise que de nombreux pays arabes, des années d’efforts de propagande censées étayer le bien fondé de leur spécificité politico-militaire au pays du Cèdre. En retournant et en utilisant ces moyens armés contre des Libanais, la milice pro-iranienne a instantanément démonétisé son crédit. Pire, certains pays arabes, plutôt enclins à l’indulgence pour ce qui apparaissait aux yeux de nombreux musulmans comme un fer de lance contre Israël et les Etats-Unis, s’inquiètent désormais ouvertement des agissements qui répondent au seuls intérêts iraniens.

La deuxième interrogation porte ensuite sur l’adéquation entre gains militaires et bénéfices politiques. Il est incontestable que les attaques du Hezbollah lui ont permis d’étendre sa zone de contrôle et prolonger son occupation du centre ville, simultanément destinée, depuis fin 2006, à bloquer l’activité économique de Solidere, fruit d’investissements massifs du clan Hariri, à se rapprocher du Sérail, siège du Gouvernement et à sortir de l’excentrement d’Haret Hreik où le Parti de Dieu était jusqu’alors confiné. En dépit de cette énumération en apparence avantageuse, le Hezbollah risque de ne recueillir que des fruits politiques particulièrement amers de cette « victoire » sur le terrain. Passons à nouveau sur l’image dégradée qui colle désormais à la formation milicienne. Le Hezbollah s’est tiré en quelque sorte une balle dans le pied : il ne pourra plus désormais incriminer quiconque mettant en cause son action à partir d’une culpabilité historique : en clair, toute la vulgate persécutrice du complot israélien – toute personne, libanaise ou étrangère, qui osait interroger les agissements du Hezbollah était instantanément accusée d’être à la solde du Mossad ou de la CIA – se trouve privée de raison d’être. Pire, l’impression prévaut que la formation soutenue par Téhéran cherche à semer gratuitement la destruction à peine explicable par une jalousie sociale et économique : l’argent sunnite, il est vrai, coule à flot pour reconstruire un pays en crise alors qu’évidemment celui en provenance de Téhéran sert d’autres finalités probablement plus militaires. La destruction des locaux de « Future Television » ne répond à aucun objectif militaire, sinon l’arrêt provisoire des émissions. La puissance financière du clan Hariri devrait lui permettre de rouvrir une station dans les plus brefs délais.

jpg_NL_10red.jpgEnfin, cette guerre civile et religieuse qui refuse de dire son nom, pose la question de l’armée régulière libanaise: un Commandant en chef plutôt silencieux, des militaires qui campent tout près des zones d’affrontement sans intervenir, certains d’entre eux qui « facilitent » la progression ou les exactions des miliciens, autant d’élément qui interrogent les Libanais sur ce qui, hier encore, faisait figure de rempart ultime contre la désintégration complète du pays. Le chef de l’armée est avant tout soupçonné d’avoir, par son inaction, voulu rehausser son prestige et apparaître définitivement comme la solution imparable de compromis. Mais en confirmant samedi le Général Choucair à la tête de la sécurité pour l’aéroport international de Beyrouth, sans obtenir la levée du blocus qui paralyse son fonctionnement, le Général Sleiman a favorisé une surenchère du Hezbollah sur d’autres dossiers. Pari donc risqué pour l’officier général car au sein même des Forces gouvernementales du 14 mars, son nom, qui ne faisait déjà pas l’unanimité, est désormais mis en cause. Entre méfiance et circonspection, il ne fait guère de doute que celui qui doit être confirmé comme président avant le mois d’août, s’il ne veut pas perdre non plus la direction de l’armée, aura fort à faire pour rassurer les inquiets et convaincre les incertains. On peut même poser la question : que vaut encore aujourd’hui la solution Sleiman ?

En attendant, la population libanaise reprend quelques vieilles habitudes de précaution qu’elle croyait à jamais bannies de son quotidien : on laisse les fenêtres ouvertes pour minimiser les souffles d’éventuelles explosions et on se renseigne avant de sortir le soir. Mais ce peuple majoritairement éloigné du conflit sait invariablement conserver les seules armes qui vaillent en temps de crise : le sourire et la gentillesse.

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Photos: nowlebanon.com

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