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25 avril 2024

Victor Davis Hanson : au cœur des combats d’Hoplites !

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L’avènement du nucléaire, on le sait depuis les explosions d’Hiroshima et de Nagasaki, ont changé en profondeur la manière d’envisager la guerre, notamment en dissuadant un éventuel agresseur de se lancer dans une opération aventureuse pour lui. Certes, le terrorisme et la guérilla urbaine se présentent comme des formes substitutives ou partielles d’un conflit plus général impossible à mener, sinon à gagner. En ce sens, le caractère paradoxal du nucléaire est d’avoir écarté ce qui, selon un petit livre original et fort bien construit de Victor Davis Hanson, constitue l’un des deux paramètres du « modèle occidental de la guerre » : le caractère « décisif » de la bataille.

mocci2.jpgDans la Grèce antique, nous explique ce spécialiste de lettres classiques à l’Université d’Etat de Californie, démocratie et conflit total s’articulent autour d’une seule et même valeur : le courage. D’où une étude originale qui concentre son attention sur le destin du « fantassin de la phalange » au moment de son combat. En fait, c’est dans l’idée même qu’il se fait, selon ses recherches, du combattant grec du VIème siècle avant notre ère, que Hanson doit lancer une première salve : celle-ci vise à faire litière des conceptions de ses maîtres lesquels envisagent une forme de mobilité individuelle du soldat grec à l’intérieur de sa formation. Pas d’escarmouche individuelle dans les rangs d’hoplites grecs, nous dit l’auteur, mais une « poussée collective », d’autant plus « sanglante que ces luttes, souvent entre « petits propriétaires fonciers », cherchaient à en limiter la durée pour la ramener à un « affrontement unique, bref et cauchemardesque ». En cause, pas seulement la défense des terres agricoles comme de nombreux historiens l’ont prétendu, mais également celle d’une « Idée » dans une acception platonicienne : « aucun ennemi ne devait traverser les plaines de la Grèce » sans rencontrer d’opposition.

Un homme ne s’avère un guerrier vaillant s’il ne peut voir de « près sans pâlir les horreurs du carnage ». Avec une série de conséquences psychologiques aussi difficiles « à se débarrasser qu’une drogue », seulement remises en question à l’époque nucléaire ou remisées par l’apparition des armes de haute technologie : le principe d’un combat de jour, « dans les règles » et entre deux forces assaillantes rassemblées. « Comment expliquer autrement les carnages des batailles de la Somme, de Verdun ou d’Omaha Beach » s’interroge l’historien ? Ces fondements expliquent également le mépris dans la littérature grecque pour ceux qui combattent de loin comme le lanceur de Javelot ou les archers. Après tout, dans toutes les armées traditionnelles occidentales, le cavalier et « l’arme blindée et cavalerie » (ABC) comme on la nomme dans l’Armée française, demeurent encore perçus comme l’élite militaire. « Il importait peu au Spartiate, selon un texte de Plutarque, de mourir mais il regrettait que ce fut de la main d’une espèce de femmelette d’archer et sans avoir rien accompli ».

Muni de ces éclairages et des apports des grands historiens grecs du Vème et du IVème siècle Hérodote, Thucydide et Xénophon, Victor Davis Hanson nous entraîne, si l’on ose dire, au cœur même de la bataille : il nous invite, avec de multiples détails techniques et humains, à imaginer des membres d’une même famille engagés l’un près de l’autre, et à voir une formation se déportant régulièrement sur la droite car le bouclier – « hoplite » d’où le nom du combattant – tenu en main gauche, laissait l’autre flanc de l’individu sans autre protection que celle du bouclier de son acolyte. Avec des corsets de bronze, d’au « moins une vingtaine de kilos » nous dit l’auteur, des armures qui, en plein soleil ou par temps de pluie ou de grêle, constituaient plus des entraves que des atouts, avec des lances qui se cassaient au premier choc si elles n’étaient pas adroitement dirigées, des jambarts lacés avec des lanières de cuir, voire ajustés au dernier moment avec des griffes en bronze directement autour des jambes et, enfin, avec des casques que des cheveux longs rendaient moins difficile à porter, on comprend mieux l’expression d’un général romain à ses troupes : « la tâche était plus dure de dépouiller ces gens-là que de les vaincre ».

On notera aussi avec intérêt le passage consacré aux combattants choisis parmi les hommes mûrs. Dans les temps modernes, explique l’auteur non sans ironie, les hauts gradés ont tendance à rester à l’arrière, dans un poste de commandement au prétexte de mieux gérer la stratégie d’ensemble de la bataille. Impensable à l’époque grecque ! Les plus anciens servent d’encadrement, de « rôle stabilisateur », aux jeunes moins expérimentés et surtout plus enclins, s’il s’agit de leur premier engagement, à subir la tentation de la désertion. Socrate avait plus de quarante ans à la bataille de Délion en 424 et fut, rapporte la chronique, l’un des rares à ne pas paniquer. L’âge de Démosthène ne l’empêcha nullement de servir contre les Macédoniens à Chéronée en 338 et Alexandre le Grand préférait, pour un de ses bataillons professionnels, des « vétérans qui avaient même fini leur service » aux dépens d’hommes « robustes et à la fleur de l’âge ».

L’évocation de la violence du choc frontal et massif entre ces combattants donne lieu au chercheur à la Hoover Institution, de décrire les souffrances de ces guerriers mais aussi les « confusions » – les tirs amis dirait-on aujourd’hui – qui ont lieu au cours de ces « poussées » et de ces « effondrements ». L’auteur élabore une conclusion en forme de morale : l’incessante sophistication recherchée par les Occidentaux dans la manière de concevoir et d’effectuer la guerre ne peut-elle pas être perçue comme une tentative de rendre le conflit plus acceptable humainement » ? L’obsession du « zero killed » sur le théâtre des opérations n’en traduit-elle pas moins l’indicible désir d’en découdre ?

Victor Davis Hanson, « Le modèle occidental de la guerre », Coll. « Texto », Editions Tallandier, 2007, 300 p., 8 euros.

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