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26 avril 2024

Sensible et émouvante « Manon » à l’Opéra de Nice

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Histoire d’un coup de foudre dont les ressorts psychologiques et comportementaux ont été merveilleusement relevés et commentés par le prélat écrivain. Double expérience également à l’image de celle vécue par l’auteur, partagé entre sa vie civile et sa vocation religieuse. Cette expérience, Manon décide de la vivre jusqu’au bout, jusqu’à la mort, elle qui aime tant les plaisirs de la vie. Ambiguïté parfaite. C’est sur cette trame que le compositeur Jules Massenet écrivit son œuvre la plus populaire « Manon » entre 1882 et 1883 et dont la création eut lieu, à l’Opéra comique, le 19 janvier 1884. Succès considérable en dépit de son caractère sulfureux – le récit se situe en plein XVIIIème -, l’histoire de cette intense passion amoureuse, contrariée et tragique, consacre le thème de l’exacerbation incontrôlée des sentiments qui inspira tellement la musique de l’époque romantique. De la jeune fille de bonne famille, tiraillée entre l’amour ardent pour le Chevalier Des Grieux et l’attirance pour le monde frivole et les jouissances libertines, Manon Lescaut découvre, éprouve, comprend et, finalement, accepte son destin : « il me faut mourir » dit-elle au moment ultime de son agonie.

jpg_manon1.jpgPour relever ce défi, l’Opéra de Nice n’avait rien laissé au hasard. Des voix à la mise en scène, des costumes aux lumières, de la direction d’orchestre à la chorégraphie du ballet, des décors aux chœurs de l’Opéra, pas une pièce n’aura manqué à la réussite de cette première représentation. Avant chacun des six tableaux, une plume blanche invisible couche sur le rideau noir quelques lignes choisies de l’Abbé Prévost, rappel suggéré du séjour de Massenet lui-même dans la chambre de l’écrivain, histoire d’enrichir son inspiration. Dirigé par Patrick Fournillier, directeur musical du Festival Massenet à Saint Etienne, ville natale du compositeur, et donc grand spécialiste de cette œuvre, l’Orchestre de l’Opéra de Nice a largement contribué à fournir le souffle musical, à même de renforcer les moments d’intensité dramatique qui guident l’interprétation des artistes.

Saluons le choix particulièrement heureux, équilibré, de ces derniers : chacun des principaux rôles a su trouver sa place et ainsi apporter toute sa richesse en liaison avec le personnage incarné. Il en va notamment des très belles prestations de Lescaut, cousin de l’héroïne, incarné par Jean-Luc Ballestra, artiste à la très belle voix grave, large et stable, récompensé en tant que « révélation lyrique de l’année » aux victoires de la musique 2007. Celle aussi du Comte Des Grieux, joué par Marcel Vanaux, basse particulièrement chaleureuse et magnifique de désespoir dans le rôle de ce père qui tente en vain de ramener son fils à la raison. On mentionnera encore le plaisir procuré par le jeu scénique et vocale des « filles » Poussette, Javotte et Rosette, respectivement Laure Baert, Caroline Fèvre et Juliette Mars, sorte de « Parques » modernes annonçant, par leurs attitudes et leurs commentaires, le déroulement du drame.

Dans les rôles titre de Manon et du Chevalier Des Grieux, la soprano Nathalie Manfrino et le ténor américain Grégory Kunde se complètent avantageusement. Le personnage de Manon oscille, dans le livret de Meilhac et de Gille, entre les radicalités de l’exaltation et celles de l’effondrement, à l’image du premier acte où il est traversé de douloureuses hésitations entre le choix d’une seule « vie de plaisir » et « l’abandon de ses chimères ». Dans cette perspective, Nathalie Manfrino semble nettement plus à l’aise dans les extrêmes. Au risque de friser parfois une sonorité trop technique, légèrement factice. La voix de la soprano alterne néanmoins avec une indescriptible facilité belles envolées aigues et mélodies plus intérieures, plus empruntes de retenue : son « adieu notre petite table », scéniquement discutable par sa neutralité gestuelle, restitue au public tout le caractère abyssal de son tourment intérieur. En réponse, et en correspondance avec l’imperturbable fidélité de ses sentiments envers Manon, le ténor préfère la constance, avec une voix davantage marquée par l’expression ponctuelle de la puissance ou de la douleur que par l’étendue de son registre lyrique. Aussi bien vocalement que nécessairement dans l’histoire, les deux héros croient se rencontrer mais ne font en fait que s’effleurer, se rechercher. En témoigne la mélodie « N’est-ce plus ma main que cette main presse? » chantée par Manon pour reconquérir, avec succès, le cœur d’un Chevalier qui s’apprête à confirmer son entrée dans les ordres. Même air chanté en toute fin du dernier acte par Des Grieux afin de sauver Manon de son inéluctable agonie. En vain cette fois-ci.

On ne peut passer sous silence ce qui a amplement contribué à l’exemplarité de cette première : commençons par les efforts incontestables en matière de décors d’Emmanuelle Favre, notamment la symbolique du lustre illuminé dans la salle des paris, lustre écroulé sur le sol dans l’univers décadent et morbide du dernier acte et qui rappelle le chandelier géant dans l’Idoménée produit à l’Opéra de Hambourg par Nicolas Brieger. Décors réalisés sur deux niveaux permettant l’exploitation d’une dynamique scénique particulièrement vivante par Nadine Duffaut, Des costumes on ne peut plus XVIIIème de Katia Duflot, des plus modestes aux « élégantes », en passant par le rouge d’une sanglante incandescence qui habille Manon et Des Grieux à l’hôtel de Transylvanie, d’extraordinaires jeux de lumières et d’éclairages par Marc Delamezière, créant les atmosphères les plus chaudes et enveloppantes comme les ambiances les plus glaçantes. Enfin, comme dans tout « grand opéra », la présence des ballets de l’Opéra de Nice avec le travail remarquable du chorégraphe Eric Belaud, venu insérer la danse à la fois comme un intermède et moment charnière décisif du drame qui se noue : Manon décide de se rendre à Saint Sulpice pour y retrouver son Chevalier et l’arracher aux griffes de la religion. Une « Manon » qui n’en demeure pas moins délicate, sensible, finalement émouvante par sa maturité acquise au seuil de la mort. Bref, une « Manon » qui comptera dans les succès de l’Opéra de Nice.

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