Assister à la représentation de « Il turco in Italia » au Teatro Carlo Felice de Gênes restera une expérience. Au-delà de la découverte de cette oeuvre de Rossini qui n’est certes pas l’une des plus inoubliables du répertoire italien, il faut en premier lieu se laisser surprendre par l’auditorium, une grande salle qui ressemble à un immense square public tout en conservant un caractère local très affirmé: de l’un de ces multiples balcons et fenêtres accrochés aux murs du parterre, on s’attend à tout instant à voir surgir une « mamma » qui va apostropher un spectateur, se mettre à étendre son linge ou invectiver bruyamment une voisine pour une sombre histoire de coucherie!
Cette représentation avait évidemment une dimension exceptionnelle en raison de son public: des centaines d’écoliers que les quelques instituteurs avaient bien des difficultés à encadrer. Un brouhaha flottant s’installe en effet au point d’obliger le premier Violon à agiter son archet pour obtenir un peu de silence, nécessaire afin d’accorder les instruments. Le jeune public s’impatiente, applaudit pour réclamer le début de la « performance », acclame l’entrée du chef Jonathan Webb, admirable pour son ouverture qui respecte avec précision les « sforzanti » si caractéristiques de la musique rossinienne et pour la générosité de sa direction : une générosité compréhensible lorsqu’on sait qu’il a lui-même souhaité diriger devant une assistance si jeune après des expériences heureuses de répétitions de concerts symphoniques en présence de classes composées de collégiens.
Des collégiens qui couvrent l’orchestre de cris lorsque le rideau se lève pour offrir un spectacle aussi vivant que coloré. Les « Oh » admiratifs déclenchés par des effets scéniques -cracheurs de feu au premier acte ou petites lumières virevoltantes dans une scène plongée dans l’obscurité au second- nous rappellent comme Goethe que le « meilleur de l’homme réside dans sa capacité à s’étonner »…comme un enfant !
Lors de cette production, on éprouve en quelque sorte en direct ce qu’on peut lire sur les représentations à la Scala dans ses débuts où l’assistance, à la fois attentive pour les grands airs mais aussi très occupée, à cuisiner ou à souper dans les loges, à papoter, voire à chahuter l’orchestre et les artistes, constituait un aiguillon sensible de la « performance ». Le professeur de Master Class Peter Elkus affirme d’ailleurs que de nombreux chanteurs aiment en fait ce public imprévisible, chaleureux et authentique. Force est de reconnaître à cet égard que le baryton Vincenzo Taormina qui jouait le rôle du poète Prosdocimo était époustouflant non seulement par son aisance lorsqu’il fit irruption en plein milieu de la salle mais également par ses qualités vocales et son jeu, les deux d’une agréable régularité tout au long des deux actes.
Sans parler des trépignements et hurlements lors des ovations -l’auteur de ces lignes n’en n’avait jamais entendu de « piu fortissimi », et le temps pris par ces jeunes pour saluer chacun des artistes -plusieurs rappels- avec, à chaque apparition de l’un des rôles titres, des « vivat » et des « bravi » « ancora piu forte ». En réponse, des sourires sincères et du bonheur affiché par les artistes eux-mêmes, bien au-delà du contentement narcissique. L’art n’est-il pas la joie de l’homme libre ?