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19 avril 2024

Café Littéraire : Les neuf vies d’Ezio

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Je vais évoquer ici ma dernière lecture qui m’inspire un sentiment mitigé : Les 9 vies d’Ezio, racontées par son descendant, Jean-Marie Darmian, le roman retrace la vie réelle du personnage principal. Le livre a été publié chez les Éditions des Auteurs des Livres en 2020.


L’ouvrage balaie l’existence mouvementée d’Ezio issu d’une famille italienne, originaire plus particulièrement de Postua, dans le Piémont.
Une histoire riche, qui se tisse à base de ruptures et de persévérance, dans une Europe qui sombre dans le fascisme.

Le point de départ ? La Grande Guerre, moment crucial où Giovanni est enrôlé dans l’armée italienne, laissant son épouse et son premier né seuls. Comme les manuels d’Histoire nous l’ont appris à l’école, les femmes faisaient tourner la machine pendant que les hommes étaient au combat. Dans cette organisation estropiée, le système matriarcal s’installe.
Aujourd’hui, on reconnaît volontiers la place des dames dans la société italienne, machiste pourtant réputées pour leur caractère. Après tout, le film Le Parrain (1972) nous dis « En Sicile, les femmes sont plus dangereuses que les coups de fusil. » Si Gesuina n’est pas dangereuse, elle est présentée comme une force de la nature.

Au retour du front, le jeune Ezio a grandi et découvre ce qu’est une relation père-fils, d’abord timide, puis fusionnelle.
Les deux hommes de la famille se rapprochent : Giovanni peut reprendre ses habitudes, et se consacrer à son métier pour lequel il cultive une passion sans limites, la maçonnerie. Le petit Ezio est admiratif : cet enfant modèle sage et efficace pourrait être un petit génie à en devenir, chose qui se confirme alors qu’il décroche son certificat d’études avec des résultats qui frôlent la perfection. Malheureusement, le prix cantonal lui est refusé. Le motif est abject : Ezio l’italien ne sera pas décoré. Ce coup de massue nous rappelle à la triste réalité du contexte historique, dans lequel grandit le garçon.
Même si le clan des Bazania est soudé, le racisme et la xénophobie mettent à mal l’ascension ambitieuse du chef de famille, qui souhaite briller en maçonnerie moderne. Dans ce contexte multiculturel, Ezio évolue entre deux pays : la France et l’Italie. À la maison, on parle italien, piémontais et français. À quelques mois de ses premiers pas au lycée, Ezio perd brutalement son père. Lui qui avait survécu à l’horreur de la guerre est mort dans la mer, sur les côtes françaises. C’est ce traumatisme qui lui donne envie de devenir docteur, objectif qu’il atteindra brillamment. Sa mère est tétanisée, son rôle s’efface peu à peu dans le récit, nous donnant l’impression qu’elle sombre, sans jamais vraiment disparaître. Le fils Bazania réussit ses études et fait la fierté de Gesuina. Titulaire du diplôme supérieur, il se destine à une belle carrière de médecin. Mais c’est sans compter sur l’ascension terrible du totalitarisme, et sur la milice des carabiniers. Alors qu’il est en vacances en Italie, sur ses terres d’origine, Ezio doit regagner la France où il sera embrigadé, afin de se battre au nom du fascisme de Mussolini. Comme il se destine à une carrière de docteur, nous sommes aussi frustrés que lui, à l’idée de l’imaginer autre part que dans un cabinet médical ou dans un hôpital. Grâce à l’intelligence de sa famille, conjuguée à son courage, Ezio traverse la Suisse. Malgré des tensions et retournements de situation qui auraient pu virer au drame, le jeune retrouve sa mère à Terressauve. L’instruction en médecine le mène aux portes de la consécration : alors qu’il prépare son futur bureau et fraîchement marié à Yolande, Ezio est sollicité par le Service du Travail obligatoire (STO). Sur les lieux, on l’accuse de trahison, à la suite d’une frappe aérienne à laquelle il survit. La sentence est terrible : il est envoyé pour une période de dix ans dans un camp de travail forcé. Sur place, il se lie d’amitié avec les autres prisonniers. Les conditions de vie y sont déplorables, la libération nous soulage également, alors qu’il part rejoindre sa femme et sa mère. La dernière partie du livre est un épilogue, qui nous rassure sur la longue et heureuse destinée d’Ezio, si bien que nous en sortons avec l’impression qu’il est devenu notre allié, un compagnon qu’on connaît bien.

Ce vibrant témoignage, qui nous est livré par la véritable famille de ce héros est un portrait élogieux d’un ancêtre qui a survécu au pire. Difficile de ne pas s’attacher à ce battant, qui est le digne fils de Gesuina, forte et déterminée, et de son père Giovanni, ambitieux et dédié à son travail. Malheureusement, et même s’il s’agit d’un récit de vie, les actions d’Ezio manquent de développement psychologique quant au style concis de l’écrivain. Peut-être est-ce une volonté de décrire le plus fidèlement le quotidien d’un immigré, établi en France ? L’usage de dialogues donne de la substance aux pages de papier : les passages en italien nous plongent vraiment dans la famille de l’auteur. C’est une histoire de vie, rédigée avec un certain déséquilibre dans l’organisation narrative du texte, avec notamment des périodes très importantes pour Ezio, qui s’éternisent ou qui ne sont pas assez exploitées. Finalement, le choix de l’écrivain se porte sur les trois étapes les plus marquantes du parcours d’Ezio (mais ce n’est que mon interprétation) : le rejet du prix cantonal, sa fuite de l’Italie et le quotidien au camp de travail forcé. Le livre aurait gagné à être plus épais et plus long, car cette lecture express s’est achevée en une soirée. C’est là le signe d’un moment intéressant, puisqu’on a du mal à décrocher des pages. Le sentiment de « happy ending » est rare en termes de récits de guerre. On en ressort souvent éprouvé par l’expérience, mais ce n’est pas le cas ici. En effet, ce n’est pas uniquement le témoignage d’un immigré italien, un survivant, c’est aussi et avant tout le portrait d’un homme ayant réellement existé, comme tant d’autres et dont on ne se souvient pas forcément. Si l’Histoire se tisse avec de grands noms, des généraux et des représentants de l’État, c’est bien le peuple qui donne aux nations le prix de leur sang, des héros de l’ombre, tel qu’Ezio Baziana.

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