
Au total, une passionnante immersion aussi bien intellectuelle qu’humaine dans l’univers de l’ancien Testament, de ses interprétations mais aussi dans celui de la judéité contemporaine. S’il est possible d’aborder les divers chapitres au gré de son intuition, on recommandera la lecture au préalable du texte introductif de Sonia Sarah Lipsyc sur « l’accès des femmes au Talmud : le point de vue traditionnel en question » qui fournit au profane – au « Goy » si l’on préfère !- tous les éléments nécessaires à la compréhension des autres développements. La sociologue explicite ainsi une des interprétations -talmudiques- d’un verset de la Thora qui évoque son « enseignement » aux enfants juifs, un enseignement que les « Maîtres du Talmud » ont, selon elle, entendu au sens strict, c’est-à-dire réservé au seuls « fils » des familles. Et qui, en conséquence, « dispense » les « filles » de cet apprentissage lequel vaut pourtant accès et initiation aux textes sacrés, condition sine qua non pour apprendre et, ultérieurement, enseigner aux plus jeunes. Et l’auteur, à l’image des travaux réalisés en « Yechivot » -les écoles talmudiques-, d’élaborer à son tour, d’étayer sa réflexion en la nourrissant de multiples citations de Rabbins et autres interprétations exégétiques antérieures. Aucune crainte de se perdre dans ce labyrinthe de références -mais la perte elle-même semble indissociable de la démarche midrashique- tant la pédagogie explicative accompagne cette progression et vient éclairer chaque avancée. Avec, au passage, ce regret émis par l’auteur sur le fait qu’il n’existe pas en France de cours de Talmud ouvert aux femmes alors qu’aux Etats-Unis, de Boston à New York, des jeunes filles et des femmes peuvent suivre depuis une trentaine d’années, ainsi qu’en Israël depuis peu, des enseignements talmudiques dispensés par un Rabbin membre du courant « Modern Orthodox ».
Il est évidemment impossible de décrire chacun des chapitres de ce recueil si captivant mais tous ouvrent à leur manière sur une authentique découverte. Il en va ainsi du pouvoir de « nommer », l’un des plus complexes comme le sait chaque psychanalyste, sur lequel se concentrent les « Lectures féminines de la Bible » de Danielle Storper-Perez, ou de l’exégèse non dénuée d’une certaine ironie de cette sibylline bénédiction matinale et quotidienne « Beni sois-tu l’Eternel…qui ne m’a point fait femme » par le Rabbin Marc Kujawski. Tout aussi intéressante se révèle la partie consacrée à l’épineux problème du « Get », le document fondamental établissant le divorce si complexe à obtenir au regard des traditions religieuses abrahamiques, évoqué par la Talmudiste Liliane Vana dans ses réflexions sur la sexualité, le mariage et les processus de séparation dans le couple juif. Une sexualité, par surcroît, traitée de manière quasi analytique par Janine Elkouby, Professeur de lettres classiques et d’exégèse juive à Strasbourg, avec, en particulier cette notion si essentielle du « Ezer Kenegdo », susceptible d’être traduite par « une aide en face de lui », finalement, cet « autre en soi » condition indispensable de la rencontre et, in fine, de toute existence humaine digne de ce nom. Un magnifique développement que prolonge celui sur le « ich » et la « icha », concepts constitutifs de l’identité sexuelle mais également le marquage de cette rencontre ratée, du « manque à être du mâle juif » dont l’écrivain et philosophe Arouna Lipschitz rappelle que « Zakhar », « mâle », veut aussi dire celui qui doit se « souvenir » jusque dans la circoncision de sa chair.
On l’aura compris : même très enrichissant, ce livre suscite bien plus d’interrogations qu’il n’apporte de solutions. Démarche fidèle en cela au célèbre proverbe du Talmud : « la réponse est le tombeau ».
Sonia Sarah Lipsyc (Collectif), « Femmes et judaïsme aujourd’hui », Editions In Press, 2008.
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