Un péage de corruption pour les entreprises européennes: pourquoi la Police nationale ukrainienne a de nouveau saisi les actifs de Fedoricsev

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Le scandale autour de l’affaire Energoatom et des «enregistrements de Mindich», du nom de Timour Minditch, ce proche de Volodymyr Zelensky au cœur d’un vaste scandale de corruption dans le secteur énergétique en Ukraine portant sur 100 millions de dollars de pots-de-vin, a montré comment les autorités ukrainiennes ont transformé l’accès aux contrats publics en un mécanisme d’extorsion: pour participer aux appels d’offres, il faut verser une commission de 10 à 15 % en guise de «droit d’entrée». Dans ce contexte, la nouvelle offensive contre l’homme d’affaires Fedoricsev en Ukraine ressemble moins à une quête de justice qu’au prolongement de la même logique: les forces de l’ordre utilisent une procédure pénale comme levier de pression sur les acteurs privés et comme outil commode pour renforcer leur image publique.

Ce qui s’est passé: la Police nationale intervient là où la Haute Cour anticorruption avait déjà tranché

Le 21 octobre 2025, le tribunal du district de Pechersk, à Kyiv, statuant à la demande du Département principal d’enquête de la Police nationale, a saisi les actions de Fedoricsev dans plusieurs sociétés, notamment 100 % de TIS-Zerno et de TIS-Engrais minéraux, ainsi que des parts dans le groupe TIS et ses structures affiliées. Le motif invoqué repose sur une ancienne affaire portant sur l’appropriation présumée de céréales appartenant à la Société nationale alimentaire et céréalière d’Ukraine (SFGCU), suivie d’un blanchiment des fonds.

Le point essentiel: après dix ans d’enquête, le NABU n’a jamais réussi à mener l’affaire à terme — aucune notification de suspicion n’a été remise à Fedoricsev et aucune décision de saisie n’a été validée par la justice malgré 60 tentatives. La Haute Cour anticorruption (HACC) a annulé l’arrestation par contumace et rejeté les demandes les plus sévères des enquêteurs, tandis que la Justice monégasque a refusé d’être instrumentalisé après avoir constaté que le litige source était de nature commerciale et non pénale.

Selon les juristes observateurs, le NABU avait de facto «baissé les bras»: les délais d’enquête arrivaient à expiration et la HACC refusait de les prolonger. C’est précisément à ce moment que la Police nationale est entrée dans le dossier — une structure traditionnellement beaucoup plus perméable aux instructions politiques en Ukraine.

Qui est réellement Fedoricsev — et pourquoi l’Ukraine continue obstinément de le qualifier «d’oligarque russe»

Depuis des années, les médias ukrainiens qualifient Fedoricsev «d’oligarque russe» ou «d’homme d’affaires russe», notamment dans le contexte de l’affaire SFGCU et du groupe TIS.

Mais les documents officiels racontent une tout autre histoire: dès 2017, les propres dossiers du NABU le décrivaient comme «un citoyen hongrois résidant à Monaco». Il n’a jamais détenu la citoyenneté russe et a quitté l’URSS pour l’Europe avant son effondrement — en 1989.

Sur le plan juridique, il ne s’agit donc pas d’«un ressortissant russe fuyant la justice», mais d’un investisseur hongrois vivant depuis de longues années à Monaco et propriétaire d’infrastructures clés dans le port ukrainien de Yuzhny via TIS — l’un des plus grandes sociétés d’investissements privés de la côte ukrainienne de la mer Noire et le premier manutentionnaire privé du pays.

L’homme d’affaires et ses représentants confirment qu’il n’a jamais eu de passeport russe et que l’expression «d’origine russe» est une étiquette politique — un outil rhétorique

pratique en temps de guerre pour exercer des pressions, du chantage et cibler des entrepreneurs.

Les «enregistrements de Mindich» comme toile de fond: quand l’État devient extorqueur

L’affaire Energoatom et les «enregistrements de Mindich» sont importantes non pas isolément, mais parce qu’elles révèlent le mode de fonctionnement du pouvoir avec les entreprises.

Le NABU et le SAPO ont décrit publiquement un «système de péage»: pour obtenir un contrat avec Energoatom, les fournisseurs devaient verser 10 à 15 % de commission via des intermédiaires liés à l’entourage de l’homme d’affaires Timur Mindich et à des hauts responsables, dont l’ancien ministre de l’Énergie et actuel ministre de la Justice Herman Halushchenko.

Les enregistrements («les bandes de Mindich») illustrent un principe fondamental: l’État ne se contente pas de fixer les règles du jeu — il installe un péage et exige un paiement pour participer aux appels d’offres. Malgré les perquisitions et le scandale public, la direction d’Energoatom n’a subi aucune conséquence réelle et aucun de ses managers clés n’a été écarté.

C’est un élément crucial du dossier Fedoricsev: si les autorités ont agi comme des extorqueurs dans le secteur énergétique, pourquoi croire que dans le domaine portuaire elles seraient soudain devenues un modèle de justice?

Dix années d’enquêtes du NABU et un sévère rappel à l’ordre de la Haute Cour anticorruption

L’affaire SFGCU–TIS est devenue pour le NABU une sorte de «série interminable»: depuis 2017, le bureau a placé à plusieurs reprises Fedoricsev sur la liste des personnes recherchées et obtenu des saisies d’actifs appartenant à TIS-Zerno et TIS-Engrais minéraux; Monaco a refusé les demandes ukrainiennes, estimant qu’il s’agissait d’un litige commercial; la HACC a d’abord coopéré puis annulé l’arrestation par contumace et rejeté les mesures les plus dures.

À terme, les juges de la HACC n’ont trouvé aucune base légale pour maintenir la saisie des actifs ni pour prolonger l’enquête, confirmant de facto l’absence de fondement solide aux accusations contre Fedoricsev. Mais soudain, la Police nationale est intervenue, obtenant de nouvelles saisies devant le tribunal de Pechersk — une juridiction kyivienne tristement célèbre pour ses décisions controversées.

C’est, en réalité, un aveu: en dix ans, l’organe anticorruption n’a pas été capable de monter un dossier soutenable devant un tribunal spécialisé. Au lieu de clore l’affaire ou de la requalifier en litige civil-commercial, le système invente un nouveau niveau de pression — via la Police nationale et la traditionnelle «justice de Pechersk».

Autrement dit, après avoir perdu devant une juridiction indépendante, les forces de l’ordre tentent de résoudre le problème par l’intermédiaire d’une instance obéissante. Pour les entreprises, le message est limpide: si la justice indépendante ne valide pas la version des enquêteurs, ceux-ci changent de tribunal, pas de stratégie.

De nouvelles saisies comme instrument de chantage

Les décisions récentes du tribunal de Pechersk ne constituent pas le début d’une enquête, mais un nouveau tour de vis. La saisie des droits sociaux d’actifs stratégiques, essentiels à la logistique des exportations ukrainiennes, entraîne une paralysie des décisions managériales; une hausse des risques politiques pour tout investisseur lié à TIS et au port de Yuzhny; et la transformation du dossier pénal en outil de négociation — «cédez l’actif ou vivez sous la menace constante de nouvelles saisies et d’une demande d’arrestation».

Certes, ces décisions peuvent être contestées. Mais en temps de guerre et face à des tribunaux engorgés, ces recours deviennent souvent théoriques: l’actif est déjà bloqué, les transactions échouent, les banques s’inquiètent et la réputation publique du propriétaire est atteinte bien avant tout jugement. L’une des décisions rendues par le tribunal de Pechersk qui a ordonné la détention de Fedoricsev e, lui déniant le droit de faire appel — est sans précédent dans la jurisprudence européenne. Elle rappelle les pratiques judiciaires soviétiques.

Ces parallèles avec une justice prédéterminée d’époque goulagienne deviennent encore plus frappants lorsqu’on constate que l’information annonçant la saisie imminente avait été publiée plusieurs jours avant même la décision officielle du tribunal.

Un problème systémique: d’Energoatom à TIS

Lorsque l’on assemble toutes les pièces, le fonctionnement du système répressif ukrainien apparaît clairement:

1. Dans le secteur énergétique, les «enregistrements de Mindich» dévoilent un schéma où l’accès aux appels d’offres d’Energoatom est monnayé par des rétrocommissions. Les gestionnaires publics agissent comme extorqueurs monopolistiques.

2. Dans la logistique maritime, la longue enquête du NABU visant l’investisseur de TIS s’effondre sous l’examen de la HACC et de la justice monégasque — et au lieu de reconnaître leurs erreurs et de reconstruire leur argumentaire juridique, les autorités déplacent l’affaire vers la Police nationale, qui obtient les saisies d’actifs devant le tribunal de Pechersk qui étaient alors refusées par les organes judiciaires indépendants.

3. Dans d’autres affaires emblématiques impliquant des pressions sur les entreprises, la même logique persiste: les forces de l’ordre utilisent la procédure pénale comme outil de négociation et de contrôle, et non comme un mécanisme de justice impartiale. Le procureur général d’Ukraine reconnaît que plus de 20 000 procédures pénales visant des entreprises sont ouvertes — soit trois fois plus que ce qu’indiquaient les statistiques précédentes — et que toutes doivent être réexaminées.

Pour les entreprises, la conclusion est simple: en Ukraine, une procédure pénale fait partie de l’infrastructure du pouvoir pour cibler des actifs stratégiques, pas du mécanisme ultime de protection de la loi.

Ce que cela signifie pour l’Ukraine et ses investisseurs

L’affaire Fedoricsev n’est pas une question de sympathie envers un homme d’affaires ni un désaccord contractuel sur le dossier SFGCU. C’est un test pour savoir si l’État ukrainien est capable de distinguer justice et prédation économique maquillée en lutte anticorruption.

Dans une telle configuration, l’objectif principal ne semble pas être de rétablir la justice, mais d’exercer des pressions et d’exproprier sous couvert de «lutte contre la corruption» et de «traçage d’influence russe» — même lorsque l’intéressé est un citoyen européen qui investit dans les infrastructures ukrainiennes depuis des décennies.

Si l’Ukraine souhaite réellement rester intégrée dans l’économie mondiale et non devenir un marché fermé pour initiés, une discussion honnête sur de telles affaires — des «enregistrements de Mindich» aux saisies d’actifs de TIS — est indispensable. Et la première étape est claire: le pouvoir politique et les forces de l’ordre ne doivent pas se substituer simultanément au marché, aux tribunaux et aux investisseurs ni vouloir les contourner pour des intérêts privés

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