

Dès leur arrivée sur les lieux, ces jeunes découvrent l’étendue des installations de la solution finale mises en place par Reynard Heydrich [[On lira avec intérêt la toute récente biographie consacrée à ce personnage, directeur dès 1939, de la « Centrale du Reich pour l’émigration juive » et qui organisa, le 20 janvier 1942, la tristement célèbre conférence de Wansee à l’origine de la solution finale : Mario R. Dederichs, « Heydrich », Editions Tallandier, 2007, 300p., 25 Euros.]] sous les ordres de Himmler: plusieurs km2 entre Auschwitz I, le camp d’origine dont le commandement sera confié à Rudolf Hoess, Auschwitz II implanté à Birkenau fin mars 1941 et prévu au départ pour accueillir les prisonniers de l’offensive nazie en Union soviétique, bientôt suivi d’un troisième à Monowitz, en vue de produire du caoutchouc pour IG Farben. « Une usine à tuer » reconnaît Willie, qui établit spontanément un parallèle entre le systématisme géométrique des constructions et celui, tout aussi implacable, de l’extermination des Juifs.
Ce camp de Birkenau aura peut-être dérouté par son immensité. Les présentations précises des guides avec force détails sur les conditions inhumaines de survie, pour ceux et celles que la mort ne frappait pas dès leur « sélection », se sont peut-être heurtées à une sorte d’aseptisation de cet espace due à la volonté légitime de maintenir les constructions en l’état. Derrière l’apparente tranquillité de ce qui, selon certains d’entre eux, ressemblait à un « parc », les collégiens ont perçu l’horreur en filigrane. Les « kadish » (prières des morts) récitées par des visiteurs adultes assis à même les rails d’où débarquaient les ultimes convois, les auront sans doute rappelés à cette réalité historique sous-jacente. Reste l’énigme des paillasses en bois inclinées dans une des baraques qu’aucun guide n’aura été en mesure d’élucider.

A mesure que s’accomplit ce voyage de la mémoire, les adolescents en ressentent presque cette « honte » dont parlait l’ancien déporté Primo Lévi. Ce dernier raconte comment le regard des soldats russes libérateurs leur renvoyait ce sentiment qu’ils avaient eux-mêmes tenté d’oublier en raison de leur « aplatissement humain » ([[3)- In « La Trève » (Primo Levi 1963) cité par Serge Tisseron, « La Honte, Psychanalyse d’un lien social », Coll. « Psychismes », Editions Dunod, 2ème édition, 2007, 232 p., 25 Euros.]]. A l’image d’une morale universelle, la visite se termine sur la première chambre où fut expérimenté le zyklon B mortel qui fit périr des millions de déportés. A quelques dizaines de mètres seulement se dresse l’ancienne demeure bourgeoise de Rudolph Hoess. Entre les deux, le gibet où il fut pendu en 1947.
Sur ce plus grand centre de mise à mort que le monde ait connu, les collégiens niçois n’entretiendront plus jamais des idées seulement théoriques. Ce voyage aura constitué in fine bien autre chose qu’une enquête de terrain. Il aura été, peut-être à leur insu, une véritable expérience intérieure. Ils et elles pourront désormais en porter un triple témoignage : celui des vivants contre les morts. Celui d’une parole contre le silence. Celui du souvenir contre l’oubli.
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