

Deux ouvrages récents offrent en la matière un indiscutable témoignage et proposent, ironie ou paradoxe, une approche inversée. « Quand notre monde est devenu chrétien » de Paul Veyne évoque à travers ce titre délibéré la rencontre presque inattendue, « pragmatique » nous dit l’auteur, d’un empereur et d’une foi largement minoritaire à ce moment-là. Au point d’induire cette interrogation fondamentale : mis à part le dessein divin, l’Europe avait-elle pour l’époque vocation naturelle à devenir chrétienne ? Le second ouvrage emprunte la voie à rebours : dans « Qu’est-ce que le sionisme ? », Denis Charbit retrace les multiples cheminements historiques et religieux d’un concept pourtant né il y a à peine plus de cent ans. Autant dire presque rien à l’échelle du judaïsme. Raison de plus pour tenter de cerner les destins qui semblent inextricablement les lier l’un à l’autre.
Dans un style inimitable, qui mêle profonde érudition et distance humoristique vis-à-vis de son objet d’étude, à l’image de l’inoubliable introduction (170 pages !) des Œuvres Complètes de Sénèque (Collection Bouquins chez Robert Laffont) , Paul Veyne nous conte un des événements décisifs de l’histoire occidentale : la conversion au christianisme de l’Empereur Constantin le 29 octobre 312. Conversion qu’accompagnèrent un rêve et une victoire militaire. La nuit qui précéda la bataille, l’Empereur romain reçut en songe la promesse du Dieu des Chrétiens de défaire son ennemi s’il « affichait publiquement sa nouvelle religion ». Son rival fut effectivement écrasé le lendemain dans les faubourgs de Rome. L’ouvrage de Paul Veyne consiste à s’interroger sur cette décision toute personnelle, « sincère » selon l’auteur, de Constantin dans un environnement qui lui était largement défavorable : Rome était « le Vatican du paganisme » et le christianisme faisait tout au plus figure de secte aux accents aussi étranges qu’originaux. Alors ? Paul Veyne semble saisir l’opportunité de cette brillante étude pour écarter toutes les fausses vérités et autres lieux communs sur les origines du christianisme. La religion du Christ un monothéisme ? Avec « Dieu, le Christ et plus tard la Vierge, la religion chrétienne est à la lettre polythéiste » observe l’auteur. La séparation de Dieu et du pouvoir politique ? Paul Veyne montre au contraire toute l’envergure du « césaro-papisme » des premiers temps. La morale, l’amour du prochain, le pardon, autant de notions inconnues des païens de même que le « gigantisme » de ce Dieu par rapport aux multiples divinités, ont sans doute contribué à son succès. Non content de ses imparables démonstrations, Paul Veyne ne résiste pas dans son dernier chapitre à s’interroger sur les « racines chrétiennes de l’Europe ». Plutôt un terrain favorable, répond l’auteur qui cite le sociologue Schumpeter : « Si la guerre sainte avait été prêchée aux humbles pêcheurs d’un lac de Galilée et le Sermon sur la Montagne à de fiers cavaliers bédouins, le prêcheur aurait eu peu de succès ».

Paul Veyne, « Quand notre monde est devenu chrétien » (312-394), Coll. « Bibliothèque idées », Editions Albin Michel, 2007, 320 p., 18 Euros.
Denis Charbit, « Qu’est-ce que le sionisme ? », Coll. « Présences du Judaïsme », Editions Albin Michel, 2007, 310 p., 11 Euros.

