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29 mars 2024

Les dossiers de Nice-Premium : Analyse de la crise politique ivoirienne post-électorale

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Face à la complexité de cette situation politique qui ne peut pas être réduite à une synthèse sans tomber dans une analyse simpliste et manquer le but essentiel d’une réflexion qui est celui de comprendre, nous avons demandé à Macaire Dagry de nous donner son point de vue.
Nous le proposons dans son intégralité au bénéfice de nos lecteurs.


ivoire.jpg Pour comprendre la crise ivoirienne post-électorale, il faut d’abord intégrer l’analyse systémique des enjeux en cours d’une part. Et d’autre part, interpréter et décoder les différentes stratégies des principaux acteurs qui animent la vie politique ivoirienne dans leurs positionnements.

En 2000, l’arrivée au pouvoir de L. Gbagbo dans « des conditions calamiteuses » selon ses propres aveux, a plongé le pays dans un chaos dont les conséquences que nous vivons aujourd’hui encore étaient prévisibles. Après trente années d’opposition au Président Félix Houphouët Boigny, L. Gbagbo a accédé enfin au pouvoir de manière imprévue, mais surtout à la faveur d’un rejet unanime de l’armée par la population ivoirienne. L. Gbagbo et ses amis ont été les premiers à être surpris de se retrouver au pouvoir après une trahison que le général Guéï à la tête du pays n’avait pas vu venir.Le général et L. Gbagbo s’étaient mis d’accord pour écarter les opposants Alassane D. Ouattara président du RDR et Henri Konan Bédié président du PDCI-RDA lors de l’élection présidentielle de 2000. Leur accord était de légitimer par cette mascarade le pouvoir du général par les urnes. Ensuite,ce dernier devait choisir L. Gbagbo comme Premier Ministre. En véritable opportuniste, Gbagbo, qui savait que les ivoiriens ne voulaient pas de militaire comme chef d’Etat, s’est autoproclamé avant la fin définitive du processus électoral. Il a donc pris de court la commission électorale indépendante qui n’a pas eu le temps de proclamer les résultats. C’est-à-dire de désigner le général Guéï, vainqueur comme convenu par leur accord. Afin de donner une légitimité à ce hold-up politique, il afait descendre ses militants dans la rue. Ceux-ci étaient appuyés par les forces armées de la police et de la gendarmerie pour l’installer au pouvoir et chasser le généralGuéï qui ne contrôlait pas ces éléments armés. Ce qui devait être une simple formalité s’est transformé en psychodrame politique dont les conséquences sont les fondements de la crise politique que nous vivons aujourd’hui.

Habitué à la défiance, à la confrontation permanente et aux rapports de force violents, L. Gbagbo s’est enfermé dans ce schéma et n’a pas été capable d’unifier le pays qui était gangrené par ce concept d’ivoirité. Il est donc arrivé au pouvoir dans un climat de tension et de suspicion généralisées envers les ivoiriens originaires du Nord du pays. Il l’a ensuite renforcé, puis s’en est servi comme projet de société pour exister politiquement. Cette stratégie a donc engendré en 2002 une rébellion des militaires originaires du Nord de la Côte d’Ivoire, dont les habitants étaient stigmatisés, considérés à tort comme des pros Ouattara et marginalisés. L’objectif de L. Gbagbo à travers cette stratégie était tout simplement de se maintenir au pouvoir sans élection. Ce qu’il a fait depuis 2005, jusqu’au scrutin du 31 octobre dernier. En effet, il était alors sûr de gagner,car plusieurs études d’opinion le donnait victorieux.Mais ces sondages étaient en fait « arrangés » en sa faveur pour l’amener à organiser cette élection qu’il redoutait tant. Il a toujours su qu’il ne pouvait pas lesremporter de manière démocratique devant A. Ouattara et H. Bédié. Son argument pour ne pas les organiser était que « le pays est divisé en deux par la rébellion ».

De ce fait, selon lui,« il lui était impossible de gouverner ni d’organiser des élections » après 5 ans de mandat comme le prévoit la constitution. En Irak et en Afghanistan, malgré de véritables guerres civiles, des élections ont quand même pu se réaliser. Alors pourquoi pas la Côte d’Ivoire qui n’était pas en guerre civile ? Il y avait certes une rébellion mais pas de guerre civile.Entre 2000 et 2002, avant la rébellion du Nord, Gbagbo avait largement le temps et les pleins pouvoirs pour mener une politique de rassemblement des Ivoiriens et de développement économique et social. Il ne l’a pas fait. Il était obsédé en permanence par l’éventualité d’une candidature d’Alassane Ouattara à l’élection présidentielle. Aujourd’hui encore, après le vote massif des Ivoiriens qui a désigné le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) pour gouverner le pays, il continue obstinément dans les mêmes stratégies suicidaires qui semblent donner un sens à son existence politique.

Six fois repoussées, Gbagbo n’avait plus d’autres choix que d’organiser ces élections présidentielles qui le terrorisaient tant
Il a fait traîner les processus de sortie de crise depuis Marcoussis en 2003 jusqu’à l’Accord Politique de Ouagadougou (APO) de 2007. Avec habileté et vice, il a su se maintenir au pouvoir en multipliant les sommets de sortie de crise. Après les accords de paix Marcoussis, en France, qui ont été signés par tous les principaux acteurs politiques ivoiriens, y compris les forces armées de la rébellion appelée les Forces Nouvelles, il y a eu plusieurs autres accords. Gbagbo ne les a jamais respectés ni appliqués. De fait, son attitude volontaire de sabotage de cette sortie de crise a engendré d’autres rencontres pour de nouveaux accords. L’objectif de cette stratégie étant de toujours gagner du temps pour ne pas aller aux élections. Toujours dans l’impasse politique suite aux nombreuses obstructions et blocages par Gbagbo et son clan, les sommets de Pretoria I et II ont été organisés et ont produit les mêmes résultats. C’est-à-dire rien.

Néanmoins, les accords de Pretoria demeurent fondamentaux dans le processus électoral qui a vu la victoire du Président Ouattara à l’élection présidentielle ivoirienne du 28 novembre 2010.Ils ont permis la mise en place, acceptée et signée par tous les principaux acteurs de cette crise ivoirienne, dela régularité de la certification des résultats de cette élection par l’ONU à leur propre demande y compris Gbagbo.La certification prévue par l’accord de Pretoria de 2005 avait pour objectif de garantir les résultats définitifs par un organisme neutre. Cette certification a donc été confirmée et organisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies à travers la résolution 1765 adoptée en juillet 2007.Ces accords de Pretoria du 6 avril 2006 ont également eu l’avantage de régler le problème de l’éligibilité de tous les signataires de l’accord de Marcoussis dont Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié qui avaient été écartés, injustement, de la présidentielle de 2000 par L. Gbagbo et par le Général Guéï.

Après chaque sommet dans lesquels ces principaux acteurs de la crise politique ivoirienne signent des accords de paix et de sortie de crise, L. Gbagbo, une fois rentré à Abidjan, fait descendre ses militants en furie dans les rues pour contester ces accords qu’il vient d’accepter et de signer. Cette stratégie de blocage lui a permis à maintes reprises de créer sans cesse de grandes zones d’incertitude dans les processus de sortie de crise. Entre les accords de Marcoussis et ceux de Pretoria, il y a eu ceux d’Accra I signés en septembre 2002. Puis Accra II du 7 mars 2003 et enfin les accordsd’Accra III signés le 30 juillet 2004.A chaque fois, L. Gbagbo utilise les mêmes techniques et stratagèmes pour défier avec insolence le peuple ivoirien ainsi que la communauté internationale.Enfin, le tout dernier accordappelé l’APO, ou « l’accord de l’espoir »,signé à Ouagadougoule 4 mars 2007 entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro a été qualifié de « dialogue direct » par L. Gbagbo. En définitif, Laurent Gbagbo a apposé sa signature au bas de plusieurs accords, sans jamais respecter un seul d’entre eux.
Le contentieux électoral relatif au second tour à l’origine de la crise politique et diplomatique actuelle

Au regard des analyses et des faits que nous avons développés tout au long de notre entretien, il est presque normal, voire prévisible, de constater une fois encore la mauvaise foi du président sortant Laurent Gbagbo.
Après avoir fait la démonstration devant tous les médias du monde entier de sa volonté de confiscation et d’usurpation du pouvoir, voilà à nouveau le pays bloqué dans une impasse politique et une crise diplomatique d’envergure. Tous ces différents accords acceptés et signés par tous les candidats avaient pour objectif d’éviter cette comédie tragique à laquelle Gbagbo nous a malheureusement habitués. On savait que Gbagbo ferait tout ce qui est en son pouvoir pour conserver ce poste déjà usurpé par malice en 2000. Cependant, nous avons sous estimé sa capacité suicidaire à se maintenir coûte que coûte au pouvoir en dépit de toutes les évidences qui démontrent sa défaite. Ces différents accords signés entre autre par Gbagbo et notamment ceux de Pretoria sur lesquels se basent les textes du code électoral sont clairs en ce qui concerne le processus électoral.
Au regard de l’article 38 de la Constitution ivoirienne ainsi que l’article 59 de l’ordonnance portant ajustements au code électoral, seule la CEI reste compétente pour proclamer les résultats provisoires de l’élection présidentielle. Cette disposition comme toutes les autres ont été prises en tenant compte de l’usurpation du pouvoir par Gbagbo en 2000. Or voilà que L.Gbagbo conteste les résultats de la CEI sous le prétexte que cette commission n’a pas respecté le délai de 3 jours qui lui a été imparti pour proclamer ces résultats.

Selon le constitutionnaliste ivoirien FrancisWodié, « le délai dans lequel la CEI doit agir n’apparaît pas avec toute la clarté souhaitable ». Les résultats du premier tour ont été proclamésle quatrième jour qui a suivi la clôture de ce scrutin qui mettait Gbagbo en tête face au candidat Ouattara. Ni Gbagbo ni le conseil constitutionnel n’avait évoqué alors ce problème de délai etde forclusion. Devant les caméras du monde entier, les représentants de Gbagbo à la CEI ont empêché physiquement la proclamation des résultats et ont tout fait pour qu’ils ne soient pas annoncés dans ce délai de 3 jours.Alors que Gbagbo lui-même a demandé que seul le représentant de l’ONU certifie les résultats définitifs en dernier recours c’est-à-dire après le conseil constitutionnel. Voilà qu’il se met à contester la certification du Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies qui a certifié les résultats du 31 octobre dans les mêmes conditions.En ce qui concerne les résultats proclamés par la CEI, ils ont été conformes à ceux proclamés par le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies. Pour avoir été représentant d’un candidat à ce scrutin, chaque délégué possède une copie du procès verbal du bureau de vote dont il a la charge. Il le communique directement à son Q.G. de campagne qui les collecte tous et vérifie, comme les autres représentants de l’autre candidat, la conformité du procès-verbal ainsi que les résultats qui y figurent.

De ce fait, tous les procès-verbaux centralisés par la CEI et dont copie a été adressée à différentes autorités dont le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, au Conseil constitutionnel et aux différents Q.G ne peuvent pas être modifiés. Voilà pourquoi la Commission Electorale Indépendante (CEI) composée des représentants de chaque candidat, « qui n’a pas pouvoir pour modifier les résultats issus des procès-verbaux mais plutôt l’obligation de les proclamer tels quels, après vérification de la régularité formelle des procès-verbaux, a fait son travail régulièrement, proprement, conformément aux exigences de la loi et de la démocratie et que, par suite, les résultats par elle proclamés sont valides » selon M. Wodié. Dans sa volonté de s’accrocher au pouvoir, le candidat L. Gbagbo a donc demandé à son ami et cadre de son parti qui préside le conseil constitutionnel de supprimer les résultats de 7 départements où le candidat Ouattara est arrivé en tête. Or la loi est formelle à ce sujet.L’article 64 alinéa 1er du code électoral, tel que le précise l’ordonnance de 2008 portant ajustements au code électoral, dit que :  » Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection et notifie sa décision à la Commission électorale indépendante qui en informe le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et le Représentant spécial du Facilitateur à toutes fins utiles. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition de la CEI. Le scrutin a lieu ou au plus tard 45 jours à compter de la date de la décision du Conseil Constitutionnel « . En supprimant 22000 bulletins de vote dans 7 départements que le Conseil Constitutionnel prétend avoir examiné en quelques heures, alors qu’il avait 7 jours pour le faire, la décision du Conseil constitutionnel devient de fait contraire au droit qu’il ne respecte pas. Les préfets nommés par Gbagbo dans ces département attestent sur la base des procès verbaux en leur possession que les résultats qui donnent Monsieur Ouattara vainqueur sont conformes aux résultats qu’ils possèdent, en dépit d’incidents mineurs ici et là, « qui ne sont pas de nature à changer ces résultats définitifs ».

Le 8 décembre dernier, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire, Y J Choi, a expliqué aux journalistes, étape par étape, le processus de certification du second tour du scrutin présidentiel ayant permis d’établir la victoire du Président Ouattara. Ce processus repose sur trois méthodes.
La première méthode a consisté à obtenir les tendances le plus tôt possible. Pour cela, l’ONUCI a déployé 721 fonctionnaires dans autant de bureaux de vote soigneusement triés qui lui ont annoncé par téléphone les résultats du second tour tous affichés dans les bureaux de vote au soir du 28 novembre. Il dit, « J’avais besoin de ces résultats pour conforter la crédibilité du résultat que j’obtiendrais avec ma troisième méthode. Mais, en tant que certificateur, je ne pouvais partager ces tendances avec personne avant d’avoir complété mon évaluation et mon analyse à travers les deux autres méthodes ».
Sa deuxième méthode avait été de recueillir les résultats des votes à partir des dix neuf commissions électorales régionales. Selon lui, « dans ce but, une semaine avant le scrutin, dix neuf membres du personnel de l’ONUCI avaient été commis à cette tâche et déployés sur le terrain. Chacun d’entre eux m’a fait parvenir sa moisson le 30 novembre. L’agrégation de tous leurs résultats a confirmé les tendances obtenues deux jours plus tôt, c’est à dire qu’à ce moment, on savait presque avec certitude qui avait emporté et qui avait perdu ».

Quant à la troisième méthode, M Choi a indiqué qu’elle avait consisté à examiner tous les 22.000 procès-verbaux reçus par l’ONUCI des autorités ivoiriennes le 30 novembre pour les besoins de la certification. « Dans cette perspective, un centre de tabulation avait été mis sur pied au siège de la Mission avec 120 membres du personnel, formés des semaines plus tôt, qui ont travaillé en rotation de trois groupes, jour et nuit et examiné procès-verbal après après-verbal pour voir s’il y avait trace de fraude ou de manipulation, notamment si les procès-verbaux avaient été signés par les représentants de la Majorité Présidentielle ». En conséquence, a ajouté le Chef de l’ONUCI, « un certain nombre de procès-verbaux avait été éliminés ».
Selon M. Choi, « les résultats agrégés ont donné des pourcentages presque identiques à ceux de ma deuxième méthode. Qui plus est, en termes de pourcentage, les tendances issues de la première méthode sont très proches de celles obtenues des deuxième et troisième méthodes. Il était absolument clair à ce moment que le peuple ivoirien avait choisi sans équivoque le vainqueur du second tour de l’élection présidentielle ».

Un mois après cette échéance décisive, la situation reste toujours bloquée et très préoccupante. Le nombre de personnes tuées, blessées et enlevées augmente de jour en jour selon l’ONU. Des milliers de personnes fuient le pays. Le lundi 3 janvier prochain, les émissaires de la CEDEAO sont à nouveau attendus à Abidjan pour demander à L. Gbagbo de quitter le pouvoir. On connaît déjà sa réponse. Elle est négative. De ce fait, la seule possibilité pour la CEDEAO et la communauté internationale de faire respecter la volonté du peuple ivoirien reste une action armée d’envergure avec toutes ses conséquences.

Macaire Dagry

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