La sociologue Pinar Selek fait face à un sixième report de procès en Turquie

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Installée à Nice depuis plusieurs années, la sociologue et écrivaine Pinar Selek voit son procès pour « terrorisme » de nouveau reporté. Le tribunal d’Istanbul a fixé une nouvelle audience au 2 avril 2026. Elle risque toujours la prison à vie, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, malgré quatre acquittements.

Le tribunal d’Istanbul a décidé, ce mardi 21 octobre, de reporter une fois de plus le procès de Pinar Selek. Ce report, le sixième en vingt-sept ans, maintient la chercheuse sous la menace d’une condamnation à perpétuité. L’universitaire, aujourd’hui réfugiée à Nice, enseigne à l’Université Côte d’Azur comme maîtresse de conférences associée.

« Ils pensent me fatiguer. Mais ils n’arriveront pas à éteindre les lucioles. Le feu de la solidarité s’éteint déjà, les braises se dispersent. C’est le pouvoir qui est en train de perdre », a-t-elle déclaré après cette nouvelle annonce de report.

Pinar Selek vit en exil depuis 2009. Elle a été naturalisée française en 2017. Depuis son arrivée à Nice, elle participe activement à la vie académique et associative locale. Elle anime des cours, des conférences et des débats autour de la liberté de recherche, de la paix et des droits humains. Pour ses étudiants et collègues, sa présence symbolise la défense de la liberté universitaire face à la répression.

Une affaire qui dure depuis 1998

Tout a commencé en Turquie, à l’été 1998. Pinar Selek est arrêtée après une explosion survenue au marché aux épices d’Istanbul. L’attentat, qui a fait sept morts, est rapidement attribué à des groupes kurdes. La sociologue est accusée d’en être complice. Or, plusieurs expertises indépendantes ont depuis établi que la déflagration était due à un accident, non à un acte terroriste.

Après deux ans de détention et des tortures, elle est libérée fin 2000. Son engagement auprès des minorités, notamment kurdes, attire la méfiance du pouvoir turc. En 2009, elle quitte son pays pour la France, espérant pouvoir poursuivre librement ses recherches.

Mais la justice turque ne renonce pas. Malgré quatre acquittements successifs, les tribunaux continuent de rouvrir le dossier. En 2023, un nouveau mandat d’arrêt international est émis, assorti d’une demande d’extradition. Interpol l’a refusée, selon son avocat, mais le tribunal turc prétend ne pas avoir reçu de réponse officielle.

Un symbole de résistance académique

À Nice, où elle enseigne depuis plusieurs années, Pinar Selek est devenue une figure de la liberté académique. Ses cours abordent les rapports entre genre, politique et société. Ses étudiants la décrivent comme une professeure engagée, accessible, soucieuse de transmettre la rigueur scientifique sans renoncer à l’humanité.

Ses soutiens sont nombreux. Universitaires, associations et personnalités politiques se mobilisent régulièrement. En janvier, 517 chercheurs issus de 27 pays ont publié une tribune dans plusieurs journaux pour réclamer son acquittement définitif. En France, des rassemblements ont lieu à Marseille, à Paris et à Nice à chaque audience.

Le 21 octobre, à Aix-Marseille Université, l’Institut d’études avancées (IMERA) a organisé une journée de lutte et de sensibilisation. L’événement s’est déroulé en parallèle de l’audience d’Istanbul. « Comme Pinar Selek n’assiste pas aux audiences à Istanbul, le comité de soutien organise des journées de mobilisation sur les journées d’audience », a expliqué dans un média local Valérie Manteau, membre du comité marseillais.

Des chercheurs en exil, comme l’historien américain Brian Sandberg, ont pris la parole pour évoquer la fragilité des libertés académiques dans le monde. Une visioconférence a relié la rencontre à la délégation internationale présente à Istanbul.

Un combat politique et humain

Pinar Selek ne cesse d’affirmer le caractère politique de son procès. « Ils prennent mon exemple pour faire peur aux autres chercheurs », disait-elle déjà en février dernier. Pour elle, cette persécution vise à faire taire la pensée critique et à intimider le monde universitaire.

Son combat dépasse désormais les frontières turques. À Nice, il incarne la défense de la liberté de penser et d’enseigner. Dans un contexte où les libertés académiques sont menacées dans plusieurs pays, son histoire résonne fortement dans les milieux de la recherche et de la culture.

Le Parti communiste français a condamné la décision du tribunal turc, dénonçant « une nouvelle étape dans l’acharnement judiciaire et politique exercé par le pouvoir autoritaire de Recep Tayyip Erdoğan. » Son représentant, Julien Picot, a rappelé que « la justice n’a pas de frontières » et que « la solidarité internationale est plus forte que la répression. »

Le prochain rendez-vous judiciaire est fixé au 2 avril 2026. À Nice, où elle a trouvé refuge et reconnaissance, Pinar Selek poursuit son enseignement et son écriture. Dans ses mots comme dans ses actes, elle affirme que la recherche, la vérité et la liberté sont indissociables.

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