Noam Yaron s’attaque une seconde fois à la traversée Calvi-Monaco à partir du 8 août. Après une première tentative, il compte bien réussir ce défi en faveur de la protection marine.
Ce jeune Suisse de 28 ans n’en est pas à son coup d’essai : en août 2024, une première tentative avait été interrompue par des conditions météo extrêmes. Un an plus tard, il revient plus déterminé que jamais, avec un objectif clair : faire de cet exploit un levier de sensibilisation à la protection des mers. Car Noam ne nage pas seulement pour repousser ses limites physiques : il met son corps au service de la nature et de la biodiversité.
Dans cet entretien, il revient sur son parcours atypique, son enfance marquée par le doute, les coulisses de cette traversée extrême, les rencontres marines exceptionnelles qu’il a faites et sur sa lutte de préserver les espaces maritimes.
Est-ce que pour ceux qui ne vous connaissent pas, vous pouvez vous présenter ?
Je m’appelle Noam Yaron, j’ai 28 ans, je suis un Suisse qui utilise son corps pour battre des records en faveur de la nature. Ça fait 5 ans que je réalise des défis hors normes, en natation ou triathlon, pour mettre en avant la protection des eaux et la préservation de la biodiversité. J’ai traversé plusieurs lacs en Suisse, notamment le lac Léman, le plus grand lac alpin d’Europe, il y a 4 ans.
Maintenant, je m’attaque à la deuxième tentative de Calvi-Monaco à la nage, environ 180 kilomètres, jusqu’à 5 jours et 5 nuits sans sortir de l’eau, pour battre le record de la plus longue nage au monde et utiliser cette traversée pour parler des enjeux de la Méditerranée, une des mers les plus polluées du monde, et de son importance à protéger.
Je voudrais en savoir un peu plus sur quel genre d’enfant étiez-vous ? Est-ce que les défis physiques et extrêmes vous ont toujours attiré ?
Je ne dirais pas que les défis extrêmes m’attiraient, mais depuis tout petit, j’ai toujours été un challenger. Je n’étais pas très à l’aise dans mon corps, ni le plus grand, ni le plus musclé, ni le plus intelligent à l’école. J’ai toujours eu envie de montrer que j’étais capable de réaliser des choses.
J’ai fait des études en physique et mathématiques. J’ai représenté mon pays dans des compétitions internationales de mathématiques et logique. J’ai aussi fait des concours de scrabble. J’ai toujours été là où on pensait que je n’étais pas capable d’aller jusqu’au bout.
Dans le sport, je suis tombé dans la natation à 8 ans, pas très à l’aise au début, et très nul. Dix ans plus tard, je suis devenu champion national junior aux 3000 mètres en eau libre en 2015. J’ai arrêté ma carrière d’athlète d’élite sur ce titre.
Je me suis consacré à des défis hors normes, des records qui défient toute catégorie, pour parler d’environnement, préservation des eaux et protection de la biodiversité.
J’ai beaucoup douté de moi jeune, et au lieu de leur donner raison, j’ai décidé de montrer qu’ils avaient tort. Je ne regrette pas.
Pouvez-vous revenir sur votre première tentative de traversée. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées, et comment les avez-vous vécues physiquement et mentalement ?
Je n’appelle pas ça un abandon, mais une interruption. C’est important : interrompre, ça veut dire remettre à plus tard. C’était le 22 août 2024. Ce n’est pas moi qui ai décidé d’arrêter, mais mon équipe. Les conditions météo étaient bien plus mauvaises que prévu. Dès le départ, le vent et les courants nous ont énormément ralentis. Il n’y avait pas de vraie fenêtre météo favorable à cette période.
Il y avait aussi les vagues, le courant contraire, une tempête possible qui approchait. On a eu énormément de méduses, découvertes au large pendant la nuit. Le froid a aussi été un facteur. Même si l’eau était chaude en journée, la nuit, elle se refroidissait beaucoup. Chaque pause était très dure, car je me refroidissais vite, et il fallait “réchauffer la machine” à chaque fois.
Mentalement, ce n’était pas facile, mais je l’ai bien pris. Avant même de sortir de l’eau, j’ai convaincu l’équipe qu’on reviendrait l’année suivante. On a revu l’équipe, remplacé certains postes où on manquait d’expertise. Aujourd’hui, on travaille avec Météo France, qui nous accompagne comme ils le font pour des événements comme le Grand Prix de Monaco ou Roland-Garros.
Qu’avez-vous pu observer dans la Méditerranée pendant ces 48 heures de nage, à la fois en termes de faune marine et de pollution ?
On a eu une chance incroyable d’être témoins du passage d’énormément d’animaux. On a vu plusieurs baleines, dont des rorquals communs, la deuxième plus grande baleine au monde, qui vit aussi en Méditerranée, qui fait entre 25 et 27 mètres de long. On a vu des poissons-lunes, assez rares à observer, qui peuvent peser plus d’une tonne. On a vu évidemment des thons, des raies de différentes espèces, notamment des raies mobula et des raies pastenague, qui sont plus ou moins menacées selon la liste rouge de l’IUCN. Mais également des dauphins.
Sur les eaux françaises, c’est interdit de s’approcher trop près des animaux sauvages, sauf si ce sont eux qui viennent nous voir. Donc on fait très attention à tout ça, pour ne pas promouvoir le fait de traquer ces animaux. Au contraire, on essaye de les faire connaître auprès du grand public, qui, même en vivant au bord de la Méditerranée, ignore parfois qu’il y a des baleines. En termes de dégâts, évidemment, je croise plus de plastique que d’animaux. Ce plastique peut être des bouteilles, des sachets, des sacs, qui se fragmentent. J’en ai partout sur la peau, ça me touche la main. Je sens l’impact de l’homme sur cette mer, connue pour être l’une des plus polluées au monde.
À quoi ressemble votre préparation physique et mentale pour réussir un tel défi ?
Elle est relativement simple, mais condensée. Je ne me suis jamais vraiment arrêté depuis la première tentative. J’ai repris plus ou moins en octobre dernier, donc ça fait à peu près 10 mois de préparation ciblée.
Je fais 4 entraînements par semaine dans l’eau, piscine, lac ou mer selon les périodes et 2 entraînements en salle pour travailler l’endurance musculaire et les petits muscles qu’on ne sollicite pas forcément à la nage, mais qui compensent la fatigue de certains muscles. La nage est un sport très complet, et avec l’expérience, on peut apprendre à reposer certains muscles en en utilisant d’autres, surtout quand on a jusqu’à 5 jours et 5 nuits à passer dans l’eau. Il faut avoir des plans B en cas de douleur ou fatigue pour continuer le mouvement en sollicitant d’autres zones.
Ensuite, il y a l’aspect mental, qui est principal. Je dirais que 60 % de l’effort repose là-dessus. Je fais beaucoup d’exercices de respiration, comme la cohérence cardiaque, qui permet de se remettre dans un état d’équilibre en cas de stress. Je fais aussi de l’hypnose pour me mettre dans un état d’inconscient compétent. Le but est de passer un bon moment, presque méditatif, pendant la nage, et que chaque mouvement me recharge comme une dynamo.
On travaille aussi la visualisation, les affirmations : des mots que je me répète en nageant ou à l’entraînement, pour m’aider à m’endormir rapidement, récupérer en nageant, m’éveiller, éviter d’avoir peur.
Est-ce qu’il y a des gros dangers ou des imprévus qu’aujourd’hui vous redoutez par rapport à l’ancienne tentative ?
Les courants, parce que la météo on peut plus ou moins l’anticiper, mais les courants, c’est assez difficile à anticiper en haute mer. Même quand on aura une fenêtre, il faudra être vigilant sur la qualité et la direction de ces courants.
Y a-t-il un objectif, notamment côté record du monde, pour ce défi ?
Oui, c’est un record du monde. C’est la plus longue nage en eau calme, en courant neutre, donc sans courant important comme une rivière. C’est la plus longue nage en combinaison.
On pourrait aussi battre le record du plus long temps passé dans l’eau, actuellement entre 60 et 70 heures. Potentiellement un deuxième record à aller chercher, même si j’espère ne pas battre celui-là, car c’est le plus compliqué.
Il faut aller le plus vite possible, mais aussi lentement que nécessaire pour tenir tous ces kilomètres et ces heures dans l’eau.
Comment gérez-vous l’alimentation et le sommeil pendant une traversée en ne sortant jamais de l’eau ?
Pour manger, c’est simple, il faut rester dans l’eau. Une bouée de ravitaillement flottante est mise dans l’eau toutes les heures pendant ma pause. J’y prends boissons isotoniques, nourriture solide, bars, œufs brouillés avec banane et cannelle, plein de choses différentes. La bouée est ensuite remontée par l’équipage.
Pour dormir, je dors sur le dos comme une otarie, en faisant des siestes de 7 minutes, 4 à 6 fois par jour sur 24 heures. L’an dernier, j’ai aussi dormi en nageant grâce à une méthode d’hypnose : fermer les yeux pendant qu’une partie de mon cerveau reste active.
Ça paraît dingue, mais les dauphins font ça très bien. On a aussi ces capacités si on arrive à les activer quand on en a besoin.
La traversée n’a pas encore été réalisée, mais comment vous vous projetez sur l’avenir ? Est-ce que vous avez d’autres défis que vous avez envie de réaliser ?
J’ai une superstition de ne pas me prononcer sur les prochains défis avant de réussir celui-là. J’ai fait cette erreur l’année dernière, en avoir un en tête. Cette année, je me concentre pleinement à ce défi, réussir ce record du monde, cette deuxième tentative, et ensuite on verra. Ce qui est sûr, c’est que je continuerai de défendre des causes qui portent du bon sens, sociales ou environnementales. Ce sera peut-être pas seulement la mer et l’océan, mais peut-être plus, en utilisant le sport ou d’autres canaux comme la communication, des documentaires ou autres.
Je pense que c’est aussi que le début pour moi, et je pourrais m’inscrire dans d’autres disciplines pour faire bouger les choses et faire avancer ce monde dans la bonne direction.